samedi 13 avril 2013

Ad usum mei — 4



Article sur le Patron terminé et envoyé. Chaque fois que j’écris sur lui, je retrouve le sourire. Le «saccageur de rêves», l’appelait Maupassant. Jubilant. Si Jean Salem n’avait pas publié un excellent essai sur l’auteur de Bel-Ami, je me serais attelé à la tâche. De tous les écrivains marqués par Schopenhauer — Zola, Flaubert, Huysmans, Mallarmé, Proust —, Maupassant est à mes yeux son plus avisé lecteur. Il lui a même consacré une nouvelle — Auprès d’un mort. «Qu'on proteste ou qu'on se fâche, écrit-il, qu'on s'indigne ou qu'on s'exalte, Schopenhauer a marqué l'humanité du sceau de son dédain et de son désenchantement. Jouisseur désabusé, il a renversé les croyances, les espoirs, les poésies, les chimères, détruit les aspirations, ravagé la confiance des âmes, tué l'amour, abattu le culte idéal de la femme, crevé les illusions des cœurs, accompli la plus gigantesque besogne de sceptique qui ait jamais été faite».
Aujourd’hui, hormis quelques rares essayistes, c’est bien entendu Michel Houellebecq qui a repris le flambeau schopenhauerien. Contrairement à ce que répètent Sollers et, surtout, Haenel et Meyronnis — les Dupond et Dupont de la revue Ligne de risque ——, le succès de Houellebecq n’est pas dû à son nihilisme dans quoi l’époque se reconnaîtrait. Houellebecq est un écrivain couru pour de mauvaises raisons. On n’achète pas ses livres pour sa « philosophie », mais parce qu’il passe pour un auteur pornographique et trash. Contresens total. Cette époque qui sacralise l’économie, le consumérisme, la techno-science, et qui, en même temps, charrie l’analphabétisme culturel, le fanatisme religieux et une criminalité ultra-violente, les néo-heideggériens la condamnent pour son «nihilisme». Sous leur plume «nihilisme» est un autre mot pour barbarie. Le sens, ici, ne renvoie pas aux pensées de l'Ecclésiaste, Lucrèce, Montaigne, Schopenhauer, Cioran ou Caraco, mais à la morale ou à la sociologie militante. Le nihilisme de Houellebecq, comme celui de Maupassant, s’inscrit dans la lignée de ces penseurs. Houellebecq ne croit pas en l’humanité. Il a parfois pitié pour elle. L’exploitation est la seule réalité sociale et l’aliénation un concept vide. Tant pis pour les hégéliens de gauche, la vie sera toujours une souffrance pour rien. «A quoi se rattacher?, demande Norbert de Varenne, l’aïeul de Houellebecq, à Georges Duroy.Vers qui jeter des cris de détresse ? A quoi pouvons-nous croire ? La mort seule est certaine».

15 commentaires:

  1. Cher Schiffter,

    Vous avez le style lucide jusqu'aux libellés - sentiment d'une grâce tragique à vous lire. Question de brêle, pourtant : "la mort seule est certaine" ; c'est incurable lucidité ?
    Où est donc la maladie ?

    À vous,

    Naqoyqatsi

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  2. Mon cher Frédéric,

    Comme vous le savez je lis à la fois Ligne de risque, Schopenhauer - un peu sur vos conseils amusés - Houellebecq et vous, non comme une tête de pioche, mais comme l'on passerait d'une musique l'autre, avec d'évidence le même constat d'une fatalité terrible qui nous suit et nous précède, et j'aime à croire que cette terreur première occupe autant les premiers cités que les derniers, seule la situation change et son décor qui se veut plus aimable, ce qui est parfois un temps salutaire.

    Bien à vous du printemps avignonnais.

    Philippe Chauché

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  3. Ah ! Que Jacques Bienvenu nous dise quelque chose .
    Jacques Bienvenu des mathématiques.
    Ici et .

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  4. Bonsoir,

    Pourriez-vous nous dire quel sens les "pensées de l'Ecclésiaste, Lucrèce, Montaigne, Schopenhauer, Cioran ou Caraco" donnent-elles au terme "nihilisme" ?

    Merci.

    Lionel

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    1. Tous répètent la simple vérité: Vanitas vanitatum, et omnia vanitas

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    2. Limpide. (Ce qui est simple est limpide, pour le béotien que je suis ; c'est aussi tragiquement sensible.)

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  5. Le nihiliste est celui qui pressent que tout est vain, absurde, contrefait, et qui en conclut que mieux vaut ne rien faire, ne rien croire, ne rien dire. Quand on a compris, autant le garder pour soi. Les diseurs de vérité mentent, les biographes se trompent, les acteurs s’y croient fatalement. Seuls ceux qui respectent la société croient en ce qu’ils sont. Vivre en paix, pour le moins, loin des gladiateurs et des clowns : l’impensable a ses penseurs, ceux qui admettent l’inadmissible ; et ses viveurs : ceux qui survivent à l’impensable et l’inadmissible.
    Comme quoi le vrai nihiliste est rare ; et l'écrivain n'en est qu'un spécimen de second rang : velléitaire, comme tous les purs esthètes ; et cependant hyperactif, un indécis qui cherche encore... Le vrai terme du nihilisme, c'est l’immobilité souriante, une colère apathique pour toujours, la compulsion intellectuelle la plus pétrifiée : une indolence ésotérique. Le bonheur fait voie lactée, couronnement d’une abdication cellulaire !
    Si on découvrait un gène du malheur, ici-bas la plupart s’en féliciteraient. C’est d’ailleurs cette faiblesse de raisonnement, son orgueil mal muet d’inutile désespéré, qui fait du nihiliste la proie du fasciste, et souvent son gibier – au point qu’on a pu les confondre. C’est que la mort n’a pas que les cimetières pour socialiser : elle a surtout les lieux de travail, les mondanités, les bistros et autres lieux de perdition solitaire !
    Boire seul ou ne pas boire, donc ? – Non bien sûr, la boite (de jour, de nuit, à partouze), le club, le forum, le bistro et la plage, tendront toujours leur bras long au vrai nihiliste, ce planqué de la vie agrippé à l’apocalypse et qui se cramponne à l’absurde. Car le fasciste n’est que le dieu fatiguant du néant ; le nihiliste, lui, sorte de Bouda mollasson, est le petit prince éveillé de l’inexistence.

    PS : c'est dur de signer chez vous FS, votre bécane est exigeante. Mon pseudo web est Guit'z. Je dis ça vu que j'aimerais revenir, mais impossible de s'enregistrer bon sang ! Salut cordial à tous.

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    1. @ Guit'z

      bonjour,
      belle envolée lyrique...j'espère avoir bien compris votre propos...

      mais vous, dans tout cela ?...
      êtes-vous un vrai nihiliste ?

      cordialement,

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  6. Maître, où peut-on lire votre article sur Le Patron ?

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  7. @ Ella :

    Non, je ne crois pas. S'il m'arrive de me montrer tel, ce n'est pas par lucidité philosophique, force d'âme, mais au contraire par faiblesse de caractère, enthousiasme instinctif.

    Aucun nihiliste ne le sera jamais autant que son époque, ce pourquoi le nihilisme relève à mon avis moins de la sagesse que de la maladie. Les sommations implacables et contradictoires de toute époque (s’agissant de la nôtre : positivisme et puritanisme, droits de l'homme et appétits de l'individu, "festivisme" et culture de mort, etc.) infestent peu ou prou la posture si catégoriquement recluse du nihilisme subjectif, réfléchi, lequel n'est qu'une pose, du moins une énième abstraction. Je tâche malgré moi d’assumer cette irrésistible pollution. Tant que l’âme se débat, le cadavre est encore chaud… Il continuer de se nier comme tel, en tâchant de nier ce qui le dépasse, en l’occurrence l’essence identique de ce qu’il nie.

    Quel romancier a-t-il le mieux peint le nihilisme achevé, glaciaire plutôt que balnéaire : celui que n'anime aucune réflexion, aucune conscience physiologique même, mais qu’une stimulation appropriée peut rendre frénétique, et dont le techno-zombi laborieux contemporain façonné par des décennies d’ingénierie sociale me paraît le type effrayant ? Cette anémone rouge sang collée à son rocher, impassible dans la tempête logique, aussi potentiellement sanguinaire qu'apparemment flasque ? Musil ? Si quelqu’un a une suggestion, ça m’intéresse !

    Guit'z

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  8. Je reviens à la charge : où diable peut-on lire votre article sur Le Patron ? S'il vous plaît, répondez-moi ! Dites-moi au moins s'il est destiné ou non au public ...

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    1. Un numéro de Philosophie magazine . Celui de l'été, je suppute.

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  9. A la faveur d'une flânerie sur le web, alors que je glanais quelques informations au sujet de l'oeuvre de Clément Rosset, j'ai découvert votre blog. C'est donc au hasard de l'ennui que je vous ai rencontré - ennui que je chéris bien plus que le divertissement, et une telle trouvaille m'apporte une preuve agréable du bien fondé de cette préférence.
    Je partage tout à fait votre point de vue sur le contresens régulièrement infligé au nihilisme. Je suis atterré d'entendre nombre de bouffons commenter l'actualité en qualifiant les terroristes, au premier rang desquels les frères "Pois chiche", de "nihilistes". Ces gens-là sont aux antipodes du nihilisme, puisque ce sont des idéalistes, prêts à occire et périr au nom de leur Absolu, sans jamais se douter de la vanité de leur pensée - ou plutôt de leur croyance. Les vertueux commentateurs, trop souvent prêcheurs eux-mêmes pour saisir que Houellebecq ne fait que disséquer leurs petites visions du "monde" sans s'abaisser comme eux à délivrer un quelconque message, feraient bien de relire le "Précis de décomposition", où Cioran, dans le chapitre inaugural intitulé "généalogie du fanatisme", remettrait en quelques lignes leurs pendules à l'heure : "...celui qui aime indûment un dieu, contraint les autres à l'aimer, en attendant de les exterminer s'ils s'y refusent. Point d'intolérance, d'intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui ne révèlent le fond bestial de l'enthousiasme. Que l'homme perde sa faculté d'indifférence : il devient assassin virtuel ; qu'il transforme son idée en dieu : les conséquences en sont incalculables."

    Bien à vous,
    Eric La Pègre

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