vendredi 21 août 2020

Les Belles Pages de Guéthary


Plage de la Côte des Basques, août 2020



— Tu sais que Frédéric Schiffter dédicacera son roman, Jamais la même vague (clic), le vendredi 28 août après-midi, aux Belles Pages de Guéthary? 
— Évidemment! Il rencontrera même Frédéric Beigbeder à 18h pour papoter en public de littérature.
— Tu as lu le roman de Schiffter?
— J'en ai même retenu par cœur ce passage: "La nuit avançait. Alice dormait depuis des heures. Boris l’aurait bien imitée, mais le sommeil le boudait. Il posa sur le tapis le dossier Martin/Milán et s’allongea plus confortablement sur le canapé. En face de lui, à peine éclairée par la lueur de la lampe du salon, la bibliothèque étalait les romans qu’il entassait depuis des années remontant au temps du lycée. Si on pouvait le qualifier de conservateur, c’était pour sa manie de garder les livres qu’il avait achetés, et parfois volés, au cours des décennies passées. Il avait devant les yeux les chapitres de son existence qui témoignaient autant de sa passion pour de grands auteurs que de ses toquades pour des littérateurs mineurs. Il lui était difficile de dire combien il possédait d’ouvrages. À vrai dire, peu lui importait leur nombre. Il avait besoin de leur présence. Ils étaient de vieux amis auxquels il tenait. Toutefois, un temps, il leur en voulut. Quand, durant ses années d’études, il eut le désir de se mettre à écrire, il lui sembla que les mânes de Balzac, de Flaubert, de Maupassant, de Proust, ou d’autres, s’échappaient des rayonnages et rôdaient autour de son bureau. Il les entendait ricaner en sourdine de sa prétention à puiser dans le trésor des mots afin de décrire, comme eux, des situations, des paysages, des sentiments, des caractères, des destinées. Peut-être était-ce cette humiliation que ressentait Arnaud, lui qui, depuis des mois, avait laissé en plan son roman. Contrairement à quantité de gens de sa génération qui connurent le folklore contestataire, Boris n’avait jamais cru à l’idée que n’importe quel individu jouissait d’une créativité qui ne demanderait qu’à s’exprimer. Autour de lui des amis, des camarades de faculté, des copains en général, se lancèrent dans l’écriture, d’autres dans la peinture, d’autres, encore, dans la musique. Les plus pressés à vouloir montrer leur génie allèrent à la photographie. Ils lancèrent des revues, participèrent à ce qu’ils appelaient des aventures éditoriales, ouvrirent des galeries, des lieux d’expression, des espaces d’exposition et de concerts. Ils ne manquaient ni d’idées, ni de projets, ni de persévérance. Une euphorie les poussait à partir en guerre contre les vieux schémas. Ils avaient tellement de choses à dire! Dans les années 80, Boris eut une courte histoire avec une fille, Valérie, qui, portée par ce vent de liberté, se mit en tête de se réaliser dans l’art total. Elle écrivait des monologues de théâtre qu’elle allait interpréter au festival off d’Avignon. Pendant qu’elle jouait sur un minuscule praticable aménagé dans une cave, on entendait une musique composée par elle-même sur un synthétiseur et, au lieu de construire un décor, elle avait imaginé de projeter sur la scène — où, souvent, elle se dénudait et dansait — des diapositives de tableaux qu’elle avait peints entre deux phases d’écriture. Quand les caméras vidéo portatives arrivèrent sur le marché, elle vit là l’aubaine d’expérimenter une pratique de l’image qui viendrait s’intégrer dans l’ensemble de sa démarche esthétique et qui l’acheminerait vers le cinéma. Boris aimait bien Valérie, mais il la quitta en lui faisant valoir qu’il serait mieux pour elle de ne plus avoir à ses côtés un type comme lui trop coincé pour apprécier sa subjectivité jaillissante. En attendant, les efforts de tous les petits talents dans le genre de Valérie furent récompensés. Les festivals, les salons, les rencontres, les forums, promus, soutenus et subventionnés par l’État, les régions, les villes, des banques, des entreprises, et conçus pour ameuter des foules friandes d’événements innovants et festifs, finissaient par officialiser les plus opportunistes d’entre ces acteurs culturels et par consacrer leurs créations. Plus Boris compta de néo-artistes dans son milieu, plus son désir d’écrire s’épuisa. Perdu pour la littérature, il se rabattit donc sur les études juridiques et s’en tint à sa qualité d’«honnête homme», continuant à cultiver le goût pour des arts d’autres temps."
— Quelle mémoire! Tu es fan, je vois. J'irai avec toi à Guéthary. Après la séance de dédicace, Frédéric Schiffter nous invitera peut-être à boire un verre au Madrid. Nous prendrons garde à la douceur des choses.  

3 commentaires:

  1. A propos des livres que l'on retrouve par hasard dans nos bibliothèques :

    Ces femmes que j'aime :
    « Il ne suffirait évidemment pas de mettre les femmes à la place des hommes pour qu'il y ait un monde nouveau. Et il faut dire que la plupart des femmes agissantes qui lancent de tels mots d'ordre ont déjà été elles-mêmes mutilées, déformées, façonnées par les hommes à leur image, elles ont été souvent réduites à l'état d'hommes par les conditions mêmes de la lutte qu'elles mènent. Le "machismo" en jupon n'est pas plus intéressant que l'autre, il est seulement plus excusable. La femme a été la grande victime de l'homme. [...] La formule femme égale de l'homme ne saurait suffire. Il s'agit de tout autre chose : il s'agit de changer l'homme.
    S'il y avait le moindre respect de la féminité, la sexualité aurait été depuis longtemps reconnue comme un partage et un échange, sans "prise" et sans "preneur" ; sans "séducteur" et sans "conquête". »
    Romain GARY.
    OU encore
    "… Big Sur, d’une beauté à vous faire sentir devant ça comme une sorte de pollution en veston, un lieu où le grand fantôme de l’océan rencontre le fantôme de la terre dans une atmosphère brumeuse, vaporeuse, où aboient les phoques et où on a envie de faire son mea culpa uniquement parce qu’on n’est pas eau, ciel, et air. (...)
    Lorsque la bêtise se fait trop puissante autour de nous, lorsqu’elle glapit, piaille et siffle, couche-toi, ferme les yeux et imagine que tu es sur une plage, au bord de l’Océan… Lorsque la plus grande force spirituelle de tous les temps, qui est la Connerie, se fait à nouveau entendre, j’appelle toujours la voix de mon frère Océan à la rescousse." (La nuit sera calme-Romain GARY)
    Cordialement.

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  2. Bonjour Frédéric,
    je n'ai pas pu me procurer votre roman, et j'en suis vraiment embêté. Mon amie, amoureuse de la mer, doit lire prochainement votre petite philosophie du surf. Sur qu'après, elle lira votre fiction qui évoque, comme tous les bons romans, beaucoup de votre propre vie. Les femmes qui aiment la mer sont les plus belles amantes. Les hommes qui les aiment sont les moins méchants qui soient.

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