[…] — À la bonne heure, dit Arnaud. Il ne faut pas s’écouter… Je ne connais rien de plus crétin que cette maxime. Les gens qui la serinent passent à côté de l’idéal de la vie douillette.
— La vie douillette…
— La meilleure des sagesses. Il suffit d’écouter ses réels besoins et de les satisfaire. Revenir à Épicure, mon vieux ! Le bonheur c’est d’abord le confort. Et ça, tu l’obtiens grâce à un pouvoir d’achat même modeste. Le bonheur c’est aussi se contenter d’une vie amoureuse sans passion, sans trop de sexe, sans enfants surtout. Enfin, c’est se garder de toute ambition professionnelle, ou artistique, ou politique. Ah, j’oubliais : il faut renoncer aux voyages, cesser de vouloir découvrir le monde qui, de toute façon, devient de plus en plus laid et dangereux. Pourquoi les gens des classes moyennes-moyennes ou des classes moyennes inférieures, se sentent malheureux ? Parce qu’ils visent le luxe, la réussite, le succès, le grand amour, l’aventure, et, parce que faute de fric et d’habileté, ils ne peuvent pas atteindre tout ça. S’ils regardaient en face leur statut social, s’ils réglaient leurs désirs sur leurs moyens, s’ils craignaient moins la solitude, s’ils faisaient moins de gosses, ils seraient satisfaits de leur sort. Mais il leur manque le courage de se résigner…
—Et tu penses être parvenu à l’idéal de la vie douillette ?
—J’y suis parvenu. Je suis un sage selon ma philosophie.
— Rappelle-toi ce qu’écrit Pavese…
— Quoi donc ?
— « Il y a plus triste que rater ses idéaux : les réaliser. » Tiens, puisque tu as fait main basse sur l’armagnac, ça ne t’ennuie pas de me resservir ?
Les heures passaient. L’alcool s’épuisait. Les mots des deux amis s’enfonçaient dans une atmosphère de plus en plus propice à un papotage de lycéens fatigués. […]
Malheureusement, les êtres humains sont aux antipodes de la vie douillette. Ils se cramponnent à leur orgueil démesuré. Ils préfèrent les conflits. La tyrannie des minorités en atteste encore aujourd'hui.
RépondreSupprimerSi je n'avais pas rompu avec mes amis vers la trentaine (le bon âge pour ce genre de choses), je crois que j'aurai tenu le même genre de propos que vos protagonistes.
RépondreSupprimerA ma façon, j'ai vécu un peu comme parle votre personnage. Mais la réussite n'est jamais totale : je continue de voyager, plus pour mon amie que pour moi.
Pour le reste, j'ai réussi - à peu près - à rater ma vie sociale, ce qui me permet, à l'âge de cinquante quatre ans, d'éprouver un sentiment doux amer d'une certaine réussite humaine et sentimentale. Sans aucune gloriole, faut-il le préciser.
Merci encore pour vos livres, empreints d'une grande beauté et propice à la rêverie, la plus douce des choses. Je dois vous avouer que j'envie votre style, mais rassurez-vous, cela en toute sympathie. Bien à vous.
Je suis un adepte de cette vie douillette-là, et cela depuis longtemps, bien avant que vous la théorisiez, et que vous lui donniez en quelques sortes ses lettres de noblesse.
RépondreSupprimerLe monde, pourtant affamé de sagesse, n'a pas l'air de trop apprécier les seules qui vaillent. Un coté "loser", pour eux qui n'aiment que la gagne, qui les ennuient sans doute.
Pourtant oui, se résigner, là est la sagesse, la seule dont nous sommes capables. J'écrivais il y a quelques temps ceci : la sagesse consiste à accepter sa folie. N'est donc sage celui qui comprends qu'il ne le sera jamais.
Se résigner à n'être pas si sage que ça - ou pas tous les jours : La sagesse n'est jamais une vraie réussite. Même celle de la vie douillette connait ses hauts et ses bas. Il y a des jours avec et des jours sans.
Mais, si je trouve la description qu'en fait votre personnage parfaite, je voulais juste contester, si vous me le permettez, un point dans son argumentaire.
"S'il avaient moins peur de la solitude" dit-il, dites-vous. Certes, mais je ne pense pas que beaucoup de personnes craignent vraiment la solitude. Dans la solitude nous ne sommes jamais vraiment seuls. Ce qui terrifie tout le monde c'est l'isolement. Cet isolement terrible qui étouffe toute vie, toute joie. Quand il n'y a plus personne. Plus de voix. Plus de sourires. Que cette indifférence polie et distante de la rue.
C'est l'isolement sans remède et sans recours qui pousse des gens très respectables, à des actes fous, inconsidérés et parfois grossiers. A ce désespoir malheureux qu'il m'est arrivé de connaitre.
Il n'est pas dur d'être seul avec soi-même quand vous êtes entouré de façon raisonnable mais quand vous n'existez plus pour personne, même les livres vous tombent des mains. Le corps crie. Votre âme crie. C'est dur.
Voilà, je tenais à vous dire cela cher Frédéric.
Merci pour votre blog et vos livres, vous êtes un très stimulant compagnon, mais vous le savez déjà :)
M.
Cher M.
SupprimerJ'approuve vos remarques sur l'isolement - qu'il faut prendre soin de distinguer de la solitude. L'isolement est en effet contraire à la vie douillette, tout comme l'omniprésence des fâcheux.
Merci de venir sur cette page.
Bien à vous,
FS
Cher FS
SupprimerEt si nous faisions de cette belle chanson, noble et sentimentale, l'hymne de la vie douillette et tranquille ?
https://youtu.be/ozJlEw1hnzs
C'est une des plus belles que j'ai entendue. Votre réponse réchauffe tellement mon coeur solitaire que je voulais la partager avec vous.
Restons dans la splendeur des sentiments et oublions, ne serait-ce qu'un instant, l'omniprésence des rats mangeurs de vie.
M.