samedi 11 janvier 2014

Niccolo per sempre


«Quand j’étais en grâce auprès du prince et qu’il me prêtait le crédit dû aux conseillers désintéressés, je l’avais dissuadé de céder à son premier mouvement de faire arrêter ce buffone insolent qui amusait les rues de Florence en jouant des fables satiriques et irrévérencieuses de son invention. Je lui montrai que le peuple semblait apprécier l’insolence du larron et, qu’au lieu de le courroucer en le privant de ces petits spectacles malpropres, il était plus sage de lui laisser penser que sa majesté, soucieuse du bien être de ses sujets, était satisfaite de le voir y prendre plaisir. Ayant admis que le remède serait pire que le mal et qu’il y avait plus grande sûreté à ce que la plèbe se divertît au détriment de sa personne plutôt qu’elle s’en prît à son gouvernement, mon maître laissa donc le pendard s’adonner à ses farces jusqu’à ce que son public finît par s’en lasser.»

Nicolas Machiavel
(Lettres à Giacomo Martini)


3 commentaires:

  1. Texte génial.
    J'allais noter, suivant le mauvais conseil de la précipitation, que, dans le cas qui "nous" occupe ces derniers temps, on regrette de ne pas être gouverné par un prince plus sage. Ce serait oublier qu'il l'est à sa manière, le peuple des demi-habiles demandant, entre autres divertissements, sa ration de moraline.
    En outre ce "nous" ne saurait nous concerner, car nous savons que, comme dit Clément Rosset, peu de choses sont moins réelles que l'actualité.

    Tristan

    J'en profite pour noter votre distinction fort claire entre haine, ressentiment et amertume, en réponse à une question sur un fil précédent.

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  2. Merci, cher Frédéric, de rappeler combien la clairvoyance du grand Florentin était à des années-lumières des errements du moralisme contemporain.

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  3. Tiens ? Une congruence. Ce cher Nicolas se promène dans l'univers des philosophes tragiques, qu'ils soient sans qualités ou déroutés.
    Je ne connaissais pas cette lettre remarquable que je retiens. Elle confirme, s'il en était encore besoin, combien nos édiles ne comprennent rien à cet art supérieur de la "virtù" qui exige une distanciation anthropologique et une sérieuse aptitude à se défaire d'une cécité réactive moralisante.

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