jeudi 29 décembre 2011
mardi 27 décembre 2011
Ce que peut le corps
Hier, alors que j’effectuais des étirements suite à un exercice quotidien de méditation profonde — que les esprits superficiels nomment « sieste » —, me revint en mémoire ce passage de l’Éthique de Spinoza (Partie III, Proposition 2, Scolie): « Personne n'a jusqu'à présent déterminé ce que peut le Corps, c'est-à-dire que l'expérience n'a enseigné à personne jusqu'à présent ce que, par les seules lois de la Nature considérée en tant seulement que corporelle, le Corps peut faire et ce qu'il ne peut pas faire à moins d'être déterminé par l'Âme ». Et, in petto, juste avant de croquer dans un carré de chocolat, j’ai prononcé ces mots: « En effet. »
jeudi 22 décembre 2011
No se puede vivir sin amar — 11
Eric Fischl
"L'indice infaillible de l'amour que l'on porte à une femme est la volonté d'être à la fois son bourreau et son seul consolateur."
Roland Jaccard
Flirt en hiver
mercredi 21 décembre 2011
Les déplaisirs et les jours
Peinture de Soluto
Les anges, de leurs ailes amputés,
Rampent à terre parmi les ordures
À l’aide de leurs moignons rognés
Décidés à regagner leur instable azur.
Hugo de l’Estagnas
Les Quatrains de l’Esseulé
lundi 19 décembre 2011
De la promenade d'Anglet à la promenade des Anglais
Comme je l’ai déjà relaté en novembre dernier, je me suis rendu, lors de mon voyage à Nice, sur les divers lieux où Nietzsche séjourna à plusieurs reprises, solitaire et amer de constater l’insuccès total de ses livres. L’hiver 1884, n’ayant pas perdu courage pour autant, il commença, dans sa chambre délabrée de la Pension Genève, l’écriture de Par-delà bien et mal — qu’il acheva un an plus tard à Sils-Maria. Curieusement, au lieu d’être hanté par des questions existentielles que lui auraient inspirées sa condition de penseur à la dérive, ce sont les thèmes de la grandeur et de la décadence des civilisations qui le taraudaient, appelant lui-même de ses vœux l’avènement d’une société de castes — contre l’idéologie socialiste qu’il tenait pour l’avatar laïque et politique du nihilisme judéo-chrétien.
C’est notamment au § 259, qu’il définit la volonté de puissance, notion qui lui servira à reléguer dans la catégorie des esprits du ressentiment ceux qui auront la "faiblesse" et la "malhonnêteté" de la rejeter — clin d'œil aux "nietzschéens de gauche".
«Il faut aller ici jusqu'au tréfonds des choses et s'interdire toute faiblesse sentimentale : vivre, c'est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible et l'étranger, l'opprimer, lui imposer durement ses formes propres, l'assimiler ou, tout au moins, c'est la solution la plus douce, l'exploiter ; mais pourquoi attache-t-on à ces mots depuis toujours un sens calomnieux ? Le corps [social] à l'intérieur duquel […] les individus se traitent en égaux, comme c'est le cas dans toute aristocratie saine, est lui-même obligé, s'il est vivant et non moribond, de faire contre d'autres corps ce que les individus dont il est composé s'abstiennent de se faire entre eux. Il sera nécessairement volonté de puissance incarnée, il voudra croître et s'étendre accaparer, conquérir la prépondérance, non pour je ne sais quelles raisons morales ou immorales, mais parce qu'il vit et que la vie précisément, est volonté de puissance. Mais il n’est pas de domaine où la conscience collective des Européens ne répugne plus à se laisser convaincre. La mode est de s'adonner à toutes sortes de rêveries, quelques-unes parées de couleurs scientifiques, qui nous peignent l'état futur de la société, lorsqu'elle aura dépouillé tout caractère d'«exploitation ». Cela résonne à mes oreilles comme si on promettait d'inventer une forme de vie qui s'abstiendrait de toute fonction organique. L'«exploitation» n'est pas le fait d'une société corrompue, imparfaite ou primitive ; elle est inhérente à la nature même de la vie, c'est la fonction organique primordiale, une conséquence de la volonté de puissance proprement dite, qui est la volonté même de la vie. À supposer que ce soit là une théorie neuve, c'est en réalité le fait primordial de toute l'histoire, ayons l'honnêteté de le reconnaître.»
samedi 17 décembre 2011
Lire Nicolas Gómez Dávila
«Le progrès, en philosophie, consiste non pas en l’apparition mais en la disparition d’une thèse».
vendredi 9 décembre 2011
La mélancolie avec une frange
Quand Lotte H. Eisner rencontre pour la première fois Louise Brooks, c’est en 1928, sur le tournage de Journal d’une fille perdue de Pabst. « J’arrivai au moment où on changeait la place des éclairages. Pabst me présenta avec une certaine fierté sa protagoniste : une fille d’une beauté fascinante, qui était en train de lire. Et, chose incroyable, cette belle fille tenait en main une traduction des Aphorismes de Schopenhauer. »
Une cinquantaine d’années plus tard, pour remercier le dessinateur Guido Crepax d’avoir inventé Valentina — une jeune fille brune coiffée d'une frange, provocante, inspirée par Lulu, la tragique héroïne qu’elle incarna à l’écran —, Louise lui envoya cette lettre :
« […] Ortega y Gasset écrivait que “nous sommes tous égarés“ et que “c’est seulement lorsque nous nous sommes avoués cela que nous avons une chance de pouvoir nous trouver et de vivre dans la vérité“. Je savais que j’étais de la sorte égarée dès le temps où j’étais petite fille ; ma mère ne pouvait comprendre la raison de mes sanglots solitaires. Si j’ai entrepris de faire du cinéma à New York, c’est parce qu’il s’agissait d’apprendre bien des choses. […] Par la suite, en 1927, je fus envoyée à Hollywood pour jouer dans différents films. Personne ne pouvait comprendre pourquoi je haïssais à ce point ce lieu destructeur. […] Je vivais une sorte de cauchemar. J’étais perdue dans le couloir d’un grand hôtel, incapable de retrouver ma chambre. Des gens me frôlaient, mais j’avais l’impression qu’ils ne pouvaient ni me voir ni m’entendre. Aussi me suis-je enfuie d’Hollywood, et depuis ce temps, je ne cesse de m’échapper. À présent, à soixante-neuf ans, j’ai renoncé à me trouver. Ma vie ne fut rien. […]»
Source :
Louise Brooks, portrait d’une anti-star
Sous la direction de Roland Jaccard
Ramsay-Poche-Cinéma
vendredi 2 décembre 2011
Plaisirs du plagiat (suite)
Curriculum vitæ de Pierre Lamalattie
Micheline,
Elle aime bien lire les philosophes, mais elle trouve qu’ils ne laissent pas assez parler leur ressenti.
Jean-Claude,
Depuis qu’il est à la retraite, il applique pleinement la devise philosophique : carpe diem.
Simon,
Il fait remarquer qu’il est réactif autant dans le boulot que dans la vie.
Ewa,
La propreté, les manières, le bon français, tout ça, pour elle, c’est des trucs de bourgeoise.
Mathieu,
La joie, a-t-il déclaré, c’est quand la vie met le turbo.
Alan,
Il voit l’existence comme une suite de business plans réussis.
Emprunté à Jérôme Leroy :
Estelle,
Elle pense que les écrivains sont trop dans leur truc.
Emprunté à Jérôme Leroy :
Estelle,
Elle pense que les écrivains sont trop dans leur truc.
jeudi 1 décembre 2011
Plaisirs du plagiat
Curriculum vitæ de Pierre Lamalattie
Depuis que j’ai découvert Pierre Lamalattie, je suis gagné par sa manie du C.V. : croquer, en une phrase, le degré d’absorption de l’âme des gens par le langage commun — où se mêlent les registres de la publicité, du commerce, de la psychologie, du sport et de la philosophie. Quelques exemples notés hier, en l’espace de deux heures, en laissant traîner mes oreilles :
Christelle,
Elle voit du positif dans le fait que Joan sort de sa bulle.
Aurélie,
Elle pense que Caroline doit être plus dans l’échange.
Mireille,
Elle est rassurée de voir qu’Anthony est davantage questionnant.
Constance,
Elle sait qu’elle a du potentiel, mais elle a du mal à le gérer.
Bernard,
À propos de Lucie, il dit qu’elle se focalise trop sur son affectif.
Marc,
Il est convaincu que si Frédéric ne s’investit pas dans le groupe, il ne risque pas de gagner une valeur ajoutée à son image.
lundi 28 novembre 2011
dimanche 27 novembre 2011
Il giorno della Schiffterina
Toutes les photos sentimentales sont ridicules. Elles ne seraient pas des photos sentimentales si elles n’étaient pas
ridicules. Mais, finalement, ce sont les gens qui ne font jamais des photos sentimentales qui sont ridicules.
jeudi 24 novembre 2011
L'art de n'être pas lu
Jan Saudek
"« Pour lire le bon, un seul moyen : ne pas lire le mauvais », préconise Schopenhauer. Excellent précepte. Mais voilà, au cours de mes années de farniente universitaire, je me sentais un peu seul de n’aimer que les auteurs compréhensibles. C’est, hélas, toujours le cas. Pour juger de la valeur d’un ouvrage philosophique, je ne me fie qu’à l’agrément que j’éprouve à le lire. Je reconnais un grand auteur, non pas à sa volonté de me plonger en d’abyssales réflexions ou de me faire miroiter une vague sagesse, mais à son souci de satisfaire mon goût de la clarté. Le philosophe doit se donner trois règles : 1) taire ce dont il est incapable de parler, 2) préférer des pensées bien tournées à des concepts élaborés, 3) faire bref — car comme le notait Baltasar Gracián « un écrit court et bon, est deux fois bon ».
Le risque, bien sûr, est de n’être lu de personne.
Dans le domaine des idées, davantage que dans celui de l’art, la simplicité refroidit le public, son besoin d’admirer et sa passion du suivisme. Qu’importe. Écrire pour le confort intellectuel des humains, sans apaiser leur angoisse d’exister, demeurera la ruineuse élégance d’un petit nombre de penseurs sans qualités."
In Traité du Cafard
mercredi 23 novembre 2011
Aspect glissant, narcissique et télévisuel du nihilisme balnéaire
Aux culs de plomb et autres riquiquis qui me reprochent cette petite méditation télévisée sur le surf diffusée dimanche dernier, je réponds évidemment que je les emmerde. Et, aux mêmes, concernant mes affinités avec Raphaël Enthoven qu’ils semblent juger coupables, je dirai avec Chamfort : « On fait quelquefois dans le monde un raisonnement bien étrange. On dit à un homme, en voulant récuser son témoignage en faveur d’un autre homme : c’est votre ami. Eh ! Morbleu ! C’est mon ami, parce que le bien que j’en dis est vrai, parce qu’il est tel que je le peins. Vous prenez la cause pour l’effet et l’effet pour la cause. Pourquoi supposez-vous que j’en dis du bien ? Parce qu’il est mon ami ? Et pourquoi ne supposez-vous pas plutôt qu’il est mon ami, parce qu’il y a du bien à en dire ? ».
vendredi 18 novembre 2011
Nous allons lire Pierre Lamalattie (clic)
"J’ai 54 ans. J’ai connu moins de femmes qu’un animateur du Club Med. J’ai gagné moins d’argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-sœur. J’habite toujours à 500m de chez ma mère. Et, bien sûr, je n’ai vécu aucune aventure de l’extrême. Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible".
Pierre Lamalattie
dimanche 6 novembre 2011
Les bonnes femmes — 9
Jan Saudek
«Puis-je affirmer en passant que je crois bien connaître les femmes ? Cela fait partie de mon patrimoine dionysien. Qui sait ? Peut-être que je suis le premier psychologue de l’éternel féminin ?
Quand [les femmes] luttent pour conquérir des droits égaux à ceux de l'homme c'est un symptôme de maladie: nul médecin ne l'ignore. La femme vraiment femme repousse, au contraire, des pieds et des poings toute espèce de ”droits”: l'état de nature, l'incessante guerre des sexes lui assure facilement la suprématie.
A-t-on bien compris ma définition de l'amour? C'est la seule digne d'un philosophe. L'amour? Une guerre quant aux moyens ; quant à l'essence: la haine mortelle des sexes. A-t-on entendu ma réponse à la question : Comment guérit-on une femme? Comment assure-t-on son "salut"? En lui faisant un enfant. C'est d'enfants qu'a besoin la femme, l'homme n'est jamais qu'un moyen — ainsi parlait Zarathoustra.
”Émancipation de la femme” ? Discours de haine instinctive de la femme ratée, c'est-à-dire stérile, envers la femme bien conformée. La lutte contre l'homme n'est jamais qu'un moyen, un prétexte, une tactique. En se donnant à elle-même les titres de ”femme en soi”, ”femme supérieure”, ”femme idéaliste”, la femme ratée tend à rabaisser le niveau général de la femme ; nul moyen plus sûr, à ces fins, que la formation du lycée, les culottes et les droits politiques de la bête électorale. Les émancipées sont, au fond, des anarchistes dans le monde de l' ”éternel féminin”, celles qui s'en sont mal tirées et qui cherchent à s'en venger... »
Friedrich Nietzsche
Ecce Homo
(Chapitre III, § 5)
vendredi 4 novembre 2011
Gestion mentale
samedi 29 octobre 2011
Ô dingos, Ô fachos ...
Je viens de terminer la lecture du livre de Jérôme Leroy : Le Bloc.
La France a pris feu. Le pouvoir en place en appelle à un parti d’ordre qui attend son heure depuis des années: Le Bloc patriotique. Dorgelles, son vieux leader, en a laissé la direction à sa fille Agnès. Tandis que les images des émeutes passent en direct à la télévision et qu’un petit compteur sur un coin de l’écran affiche le nombre des morts, cette dernière négocie avec le chef du gouvernement l’obtention d’une dizaine de postes ministériels. Ce sera un putsch en douceur, sans armée, mené par une belle femme brune, à la fois martiale et sensuelle.
Pendant ce temps-là, quelque part dans Paris, deux hommes monologuent. L’un dans son appartement, l’autre dans un boui-boui.
Le premier, c’est Antoine Maynard. Intellectuel fasciste, polémiste redouté, lecteur de Baudelaire, de Cravan, de Vailland, de Brasillach, de Drieu et amateur de castagne. Il a épousé Agnès. Il est fou d’elle et c’est réciproque. Le second, c’est Stankowiak, dit Stanko. Chef des nervis du Bloc, fétichiste des armes, spécialiste des arts martiaux et anti-métèques primaire. Maynard et Stanko sont frères de combat. De sang. En juxtaposant les deux récits, Jérôme Leroy retrace les trente ans de guerre politique d’un groupuscule qui, in fine, deviendra un parti gouvernemental.
Depuis Nada, de Jean-Patrick Manchette, je n’avais pas lu de « polar » aussi costaud. Costaud : dans le sens où le roman tient ses promesses de violence, mais aussi dans le sens où ce qu’il montre, le milieu de l’extrême-droite française, s’appuie sur une connaissance historique solide. Comme Jérôme Leroy écrit avec brio et précision, il piège le lecteur qui éprouve vite de l’empathie pour ces affreux qui ne sont pas tant des militants politiques que des aventuriers de l’apocalypse partageant la haine des tièdes, le goût de l’amitié virile, la passion de la tension. Une même bête enragée les a mordus.
À ce roman noir, des bonnes consciences imputent à crime sa neutralité morale. Qu’elles se rabattent, en ce cas, sur des contes bleus. Au reste, de quoi faudrait-il s’indigner ? Jérôme Leroy décrit des hommes qui veulent s’emparer de l’Etat, passent des alliances, se trahissent et s’entretuent, comme cela se passe chez leurs ennemis démocrates. N’est-ce pas rassurant ?
lundi 24 octobre 2011
samedi 22 octobre 2011
Aspect actuel et particulier du " señoritisme" (suite)
La France change-t-elle beaucoup plus vite et beaucoup plus profondément que ne le voudrait le président Sarkozy ? Désormais, quand ce dernier s'agite ici ou là pour le gévin, l’Europe, la Libye, le repeuplement du pays, personne ne s'en aperçoit. Il en va de même pour Bernard-Henri Lévy qui eût tellement aimé que ses compatriotes saluassent en lui l’intellectuel engagé et courageux ayant épargné aux Libyens un bain de sang — qui a eu lieu. Ce qui était ignorer deux choses : 1) la lassitude des Français à le voir gesticuler toute houppette martiale dressée sur la tête à la moindre guerre civile qui éclate, et 2) leur indifférence à l’égard de la prétendue révolution libyenne. Nul doute que l’intéressé considère la première raison du silence qui entoure son héroïsme comme étant la plus grave, mais c’est la seconde qui compte. Car dans cette affaire libyenne, personne en France n’a cru qu’il s’agissait pour l’OTAN de sauver les populations civiles et d’aider un mouvement démocratique, mais de remplacer un dirigeant incontrôlable par une équipe jugée, sans discernement, plus soumise aux puissances occidentales. Les discours lénifiants de BHL sur la liberté des peuples ne sont plus audibles. Les Afghans retrouvent les Talibans. Les Irakiens s’apprêtent à fonder une république chiite. En Tunisie les salafistes la ramènent. En Égypte l’armée pactise avec les Frères Musulmans. Le printemps arabe annonce un long hiver islamiste. Nous entrons dans l’automne et les premières glaces viennent de saisir la Libye.
lundi 17 octobre 2011
Qui achète ?
Pour sa première émission — "Les grandes questions" — diffusée sur France 5, Frantz Olivier Giesbert a eu l’idée de réunir dans une galerie marchande des vedettes de la pensée médiatique — Alain Minc, Michel Onfray, Emmanuel Todd, Edgar Morin et Cynthia Fleury. Preuve est faite qu’il est un fidèle de notre blogue et qu’il a bien lu notre hommage rendu à Lucien de Samosate et à son Philosophes à vendre.
mardi 11 octobre 2011
Spleen et Idéal (féminin)
J’ai constaté que dans le monde du cinéma, une actrice, piquante en sa prime jeunesse, embellissait avec l’âge — ainsi Romy Schneider, petite princesse d’opérette à dix-sept ans dans Sissi de Ernst Marischka, amante désabusée à trente ans dans La Piscine de Jacques Deray —; qu’il pouvait y avoir un décalage entre son image à l’écran et son réel visage dans la vie — ainsi Marilyn Monroe, ravissante et joyeuse idiote dans les chefs d’œuvre de Billy Wilder, femme secrète et en détresse, hors champ, sous l’objectif des photographes de plateaux — ; ou que sa personnalité même, justement, était nécessaire pour incarner des rôles puissants, ainsi Gena Rowlands de Faces à Lovestream de John Cassavetes. Et sans doute est-ce le septième art, grâce à quoi je fis très tôt mon éducation esthétique et sentimentale — où est la différence ? — qui me persuada aussi de toute la force de cette remarque de Baudelaire notée dans un journal intime : « Je ne prétends pas que la Joie ne puisse s’associer avec la beauté, mais je dis qu’elle en est un des ornements les plus vulgaires, tandis que la Mélancolie en est pour ainsi dire l’illustre compagne […] ».
jeudi 6 octobre 2011
Hommage
J’ignore tout de Steve Jobs — et n'ai aucune curiosité à son sujet —, mais je lui suis reconnaissant d'avoir inventé l’ordinateur portable. Grâce à mon Macbouquaire, ultrafin et léger, je puis réunir mes deux plus grands plaisirs : l’écriture et le lit.
mardi 4 octobre 2011
Bis repetita placent
Quand cet opuscule parut il y a une dizaine d’années sous le double parrainage — au sens mafieux du terme — de l’Infâme R.J. et du joyeux logicien du pire Clément Rosset, il m’attira bien des inimitiés mais, aussi, me permit de connaître de nouveaux amis malfaiteurs. Quand il sortit des presses, je regrettai un peu que le titre ne fût pas présenté sous les belles lettres anglaises qui faisaient tout le chic de la collection «Perspectives critiques». Après quelques années d’«indisponibilité chez l’éditeur », Sur le blabla et le chichi des philosophes reparaît demain avec une nouvelle couverture couleur gris anthracite et, enfin!, l’élégant lettrage. J’imagine la joie de mes lecteurs quand ils verront que la surface du contenant sera en harmonie avec la profondeur du contenu. Ce cinq octobre sera une fête.
samedi 1 octobre 2011
De la cuistrerie illustrée
Encourageant les gens à se montrer «décomplexés» en n’importe quel domaine, notre époque favorise chaque fois plus l’exhibition de ridicules qui, il n’y pas si longtemps, respectaient une invisibilité de bon aloi. Parmi les ridicules en question, figure en bonne place la vulgarisation de la philosophie. Mais qui le voit ? L’idée de populariser une discipline d’accès difficile semble des plus louables. Quant aux professeurs de philosophie auteurs d’encyclopédies parascolaires illustrées de bandes dessinées, les gazetiers les saluent comme de généreux pédagogues — ayant, comme ils disent, un grand « sens du partage ». Grâce à ses nouveaux « passeurs », la philosophie s’évade enfin des sanctuaires du lycée, de l’université, des grandes écoles, et perd sa désastreuse image de matière compliquée auprès du grand public. Ludique, rigolote et colorée, la voilà à la portée des nuls, des déshérités de la culture, des mal lotis de la dialectique.
Un énième produit de ce genre vient de paraître : La planète des sages, commis par un duo de comiques du concept — Charles Pépin pour les notices didactiques et Jul pour les dessins. Cela se présente comme un dictionnaire des grands noms des philosophies occidentale et orientale. Pour juger du niveau de l’entreprise, écoutons Pépin : « Dans le cas de Hegel, le dessin de Jul met en scène un ado qui s’en va taper sur Hegel au lieu d’aller taper sur Google… En fait, tous les philosophes qui sont venus après Hegel (l’existentialisme de Sartre, la déconstruction jusqu’à la phénoménologie) sont des gens qui n’avaient qu’une seule idée en tête, c’était de taper sur Hegel. Je trouve que le dessin met très bien en relief cet aspect et au delà de l’humour, partir du dessin m’a permis de vivre une expérience nouvelle très riche. » Gageons que dans la prochaine édition « audio » on entendra des rires enregistrés.
À propos de déconstruction, je m’en permettrais une petite au passage. La saison est au «décalage». Un spécialiste de philosophie qui fait appel à un dessinateur afin de faciliter la compréhension de Hegel est, dit-on, un « philosophe décalé ». Je dirais quant à moi un démagogue et un pédant. Démagogue car tout spécialiste de philosophie sait bien que son enseignement n’est pas impopulaire parce que difficile, mais qu’il est difficile parce qu’impopulaire tant il demande des efforts de lecture et de relecture. Pédant, car que ce soit sous forme d’albums illustrés ou autre « supports» graphiques, vulgariser des pensées complexes en prenant des mines de potache attardé, n’est encore qu’une manière de ramener sa science et une occasion d’étaler ses diplômes — comme Pépin ne manque jamais de le faire à chaque émission de promotion.
mardi 20 septembre 2011
Américains, encore un effort pour être civilisés!
J’apprends avec écœurement que la justice américaine vient de refuser la grâce de Troy Davis, un Noir condamné à mort — sans preuve — en 1991 pour le meurtre d'un policier blanc. Aussitôt je pense à la réaction qu’aurait eu le premier philosophe abolitionniste au monde, à savoir Donatien Aldonze François de Sade. « De toutes les lois, la plus affreuse est sans doute celle qui condamne à mort un homme », […] « elle est impraticable, injuste, inadmissible », écrit le Marquis dans Aline et Valcour lorsqu’il était enfermé à la Bastille. Plus tard, avant de connaître les prisons de la République, il déclarera dans sa fameuse Philosophie dans le boudoir que « la raison pour laquelle on doit anéantir la peine de mort, c’est qu’elle n’a jamais réprimé le crime, puisqu’on le commet chaque jour au pied de l’échafaud. On doit supprimer cette peine, en un mot, parce qu’il n’y a point de plus mauvais calcul que celui de faire mourir un homme pour en avoir tué un autre, puisqu’il résulte évidemment de ce procédé qu’au lieu d’un homme de moins, en voilà tout d’un coup deux, et qu’il n’y a que des bourreaux et des imbéciles auxquels une telle arithmétique puisse être familière ». Si je cite ces lignes, c’est pour rappeler que tout l’argumentaire de Camus contre la peine capitale lui est inspiré par Sade et pour dire combien je n’ai toujours pas compris les réticences qu’exprima jadis Elisabeth Badinter à l’égard de cet écrivain sachant que son époux fut sadien dans son combat pour l'abolition de cette barbarie.
vendredi 9 septembre 2011
Généalogie d'une philosophie sans qualités
Je me rappelle la première fois que je découvris la folie. C’était à l’hôpital psychiatrique de Montpellier, dans les années soixante-sept ou soixante-huit. Son directeur était un vieil ami de mes parents, un « colonial » de Dakar, recasé à ce poste, en métropole, juste après l’indépendance des pays de l’Afrique Occidentale Française. Ce type me faisait penser à l’antipathique docteur Müller de Tintin. Il dirigeait son hôpital en maître autoritaire, bénéficiant d’un immense logement de fonction au cœur d’un beau parc et, aussi, du service d’une domesticité recrutée parmi les malades les plus pauvres, et, donc, les plus dociles. Aimant à montrer son pouvoir et sa réussite, il recevait souvent. Comme ma mère, inexplicablement, l’appréciait et répondait à ses invitations, je passai quelques fois de longs séjours de vacances dans son fief où il régnait sur un peuple d’aliénés discrètement encadré par des silhouettes blanches. Nullement psychiatre mais prétendant, en qualité de patron suprême de l’hôpital, jouer un rôle médical, le docteur Müller était fier de nous faire visiter les lieux où l’on traitait les cas graves. Il nous faisait trotter à travers de longs couloirs éclairés par une suite de grandes fenêtres latérales, jusqu’à ce qu’il ordonnât au planton qui nous précédait — son boy de Dakar qu’il avait gardé à ses ordres — d’ouvrir une porte donnant sur la salle des électrochocs, puis une autre trouée d’un hublot: celle d’une cellule capitonnée. La première, carrelée du sol au plafond, avec en son centre un grand lit en fer équipé de sangles, ne me parut pas effrayante. Il ne me vint pas à l’idée qu’on y électrocutait, méthodiquement, des humains et même des enfants. La seconde, en revanche, me frappa d’horreur. Je ne pus m’empêcher de me voir là, enfermé et entravé par une camisole de force, hurlant ma douleur, des heures et des heures, dans une indifférence matelassée. Ayant deviné mon angoisse, Müller me dit, mi-sérieux, mi-plaisant : « Je peux te jeter là-dedans quand je veux ». Je revois encore la face hilare du nègre et, aussi, celle de ma mère où je crus lire une approbation.
In Le philosophe sans qualités
mardi 6 septembre 2011
jeudi 1 septembre 2011
Oyez ! Oyez ! Amis du Gai Savoir !
Je fus attristé quand j’appris, en juin dernier, que Raphaël Enthoven n’animerait plus Les Nouveaux chemins de la connaissance — l’émission matinale de France Culture (de 10H à 11H) destinée à l’honnête homme, espèce rare, et aux femmes anti-bonnes-femmes, espèce plus rare encore.
Les gens qui n’aiment pas Raphaël Enthoven sont des têtes plates de mauvaise foi. Qui est capable, comme lui, lors d'une conversation de quarante-cinq minutes conduite avec courtoisie et clarté en compagnie d'un universitaire ou d'un érudit, de donner à l'auditeur le plaisir de renouer avec le sens le plus maltraité qui soit en cette époque de communication et de prêchi-prêcha : le sens de la subtilité ?
Raphaël Enthoven a pris le large, donc, mais je me réjouis de l’arrivée, à sa place, sur les Nouveaux Chemins, de la très chère Adèle Van Reeth. Étant donnée la maestria avec laquelle elle a animé la nouvelle série d’émissions — consacrée cette semaine au thème de la bêtise —, le meilleur est assuré pour les temps à venir.
P.S. : À propos de philosophie et de bêtise, Adèle Van Reeth proposait aujourd’hui un entretien avec Jean Carnavaggio sur la question des rapports entre un monomaniaque et un naïf célèbres : Don Quichotte et Sancho Panza. Je ne sais pourquoi, cela me remit en mémoire le texte inaugural de mon blogue.
mercredi 31 août 2011
dimanche 14 août 2011
Éros et civilisation — 4
"Quelle bonne idée de rééditer Sur le Blabla et le Chichi des Philosophes de Frédéric Schiffter. Dommage qu'il ne paraisse que le 5 octobre. J'en aurais offert un exemplaire dédicacé par l'auteur à chacune de mes amies, toutes aussi sexy les unes que le autres, qui aiment Biarritz, qui sont passionnées de surf et tellement séduites par le nihilisme balnéaire..."
dimanche 7 août 2011
Éros et civilisation — 2
Aux Etats-Unis, des ligues de vertu se sont insurgées contre la publication, par un magazine, de la photographie d’une jeune mère donnant le sein à son enfant. Je partage l’indignation. Il est choquant de montrer ainsi la femme dans une fonction anatomique répandue chez toutes les femelles mammifères. Sans aller jusqu’à approuver l’idée d’une condamnation du journal, je crois en revanche que, pour réparer cette injure faite à la dignité féminine, un tribunal devrait le contraindre à exposer en première page une femme agaçant de sa langue le clitoris d’une autre femme, ou encore embouchant le sexe d’un homme. La truie ou la guenon allaitent elles aussi leurs petits. C’est par la fellation et le cunnilingus que la femme affirme tout l’humain de sa sexualité.
In Traité du Cafard
vendredi 5 août 2011
Défense du consommateur
En flânant au milieu des piles de livres de La Maison Darrigade de Biarritz, je tombe sur ce titre : Les écrivains préférés des libraires — "et donc à éviter!", aurait-il fallu ajouter en sous-titre par souci d’honnêteté.
mercredi 3 août 2011
Sauve qui peut (les mots).
Certains jours, je me dis qu’il y a des mots sans défense qu’il faudrait protéger quand on les liquide en douce, et d’autres dont il faudrait laver l’honneur quand on en ternit le sens. Qui « on » ? Les journalistes, bien sûr. De la radio, de la tévé, ceux qui griffonnent dans les gazettes. Tous ces gens tellement chatouilleux sur leur déontologie, parlent et écrivent sans le souci de la précision élémentaire. Écoutez-les, lisez-les. Des professionnels du vague, de l’approximation, du cliché, du raccourci. Rien de plus logique : quand on fait métier d’informer le peuple, on s’exprime comme le peuple. Non pas le peuple tel que de Céline à Alfonse Boudard en passant par Jean Meckert, une littérature en a fait un sujet poétique ou romanesque, mais le peuple réel, c’est-à-dire ces foules de types et de bonnes femmes qui s’engouent pour les messes planétaires du foutebole, la fête de la musique, la réussite ou la déchéance des trèdeurs, la grossesse d’une starlette, la perversion sexuelle supposée d’un dirigeant mondial, le spectacle de milliers de cadavres gisant au sol après un raz-de-marée, l’éruption d’un volcan, une guerre néocoloniale, que sais-je encore — bref, ce peuple qui se goinfre des « infos » ou de l’« actu » en continu jusqu’à atteindre l’obésité mentale et dont le langage se réduit à un lexique de sportif professionnel, d'éducateur spécialisé, de commercial.
Or ce peuple, justement, sait-il encore faire la distinction entre les termes de «populaire » et de « public » ?
« Public » est un mot en sursis. C’était jadis un adjectif utilisé pour désigner une volonté politique d’administrer au sein d’une nation l’instruction, la santé, les transports, le courrier, le crédit et l’énergie. Les services publics, n’étaient pas et ne sont pas des services populaires. Ils évoquent une forme de souveraineté confiée aux citoyens les plus éclairés d’un État — lesquels n’ont cure de plaire au peuple, mais, prioritairement, et quitte à être impopulaires, d’œuvrer pour l’intérêt général. À l’inverse : quand les démagogues s’attaquent aux pouvoirs ou aux services publics, ils le font au nom d’aspirations populaires. Que demande le peuple? La baisse des impôts. La chasse aux Roms. La réduction du nombre de fonctionnaires. Un jour, qui sait, le rétablissement de la peine de mort pour les pédophiles et les tueurs de policiers. Et qu’on ne vienne pas nous objecter que les populistes seraient les faux amis du peuple — victime, quant à lui, selon ses vrais amis, de je ne sais quel « mensonge social ». La vérité est que le peuple fait ami-ami avec n’importe quel parti qu’il laisse parler en son nom pour peu qu’il trouve à traduire son mécontentement du moment — mécontentement faisant toujours suite à un enthousiasme imbécile. Quant au « mensonge social », Georges Darien, l’aristocrate de l’anarchie, dans Le Voleur, en avait dit l’essentiel : «Ses soi-disant victimes savent très bien à quoi s’en tenir et ne l’acceptent comme vérité que par couardise ou intérêt ».
Et puis, quoi ! Le mot « populaire » est laid. Le prononce-t-on en ma présence que, hors de l'oubli où la voix politique relègue aucun contour, se lève, peu ragoûtante, l’idée d’un vil potage. Prenez Michel Homay, par exemple, qui, fâché avec l’école publique, a laissé sa place de pion dans un lycée de bonnes sœurs pour une chaire d’un enseignement supérieur fictif. Qui peut croire que la philosophie en ressort grandie ? Son Université populaire est à la philosophie ce que la soupe du même nom est à la gastronomie.
« Philosophe », voilà un autre mot sali par la novlangue des media. Il n’y eut jamais qu’un seul philosophe, qui n’était ni professeur, ni chercheur, ni auteur de livres : Socrate. Or, qu’est-ce qu’un philosophe pour le peuple ? Un intellectuel qui occupe deux mi-temps. Un mi-temps consacré à enseigner et à publier, un autre mi-temps réservé au journal et au débat télévisés afin d’alerter l’opinion sur une cause morale à défendre, un engagement politique à suivre, ou sur la meilleure manière de vivre une vie d’homme, intérieure et citoyenne. Un communicant en idéologie pour une classe moyenne pauvrement lettrée. Un lampion qui se prend pour une Lumière du siècle. Qu’on lise Platon et Xénophon relatant le procès de Socrate — condamné à mort, je le rappelle, non par un régime tyrannique, mais par une démocratie. Imagine-t-on cet homme s’adresser au peuple sinon pour le bafouer ?
D’aucuns, parmi ceux qui lisent ces lignes, se rappellent peut-être la séquence de ce film, Palombella Rossa, où l'on voit le personnage de Nanni Moretti qui, hors de lui, gifle une petite journaliste inculte lui posant des questions farcies de mots passe-partout et de poncifs branchés: "Mais d'où sortez-vous ces expressions ? Mais comment parlez-vous? Comment parlez-vous? Les mots sont importants! Les mots sont importants!", lui rappelle-t-il en hurlant sa douleur. Ah ! Claquer le beignet à un Giesbert, à un Ruquier, à une Ariane Massenet ! Quel amoureux de la langue réagirait autrement? À moins que le découragement ne l’accable et qu’il se résigne à l’idée que Dieu ne donna le Verbe aux humains que pour les jeter dans le malentendu et la confusion, et que, à présent, les professionnels du verbiage ayant pris le pouvoir, Sa volonté est faite.