«Lorsque quelqu'un demande à quoi sert la
philosophie, écrit Gilles Deleuze, la
réponse doit être agressive, puisque la question se veut ironique et mordante.[…][La
philosophie]sert à nuire à la bêtise,
elle fait de la bêtise quelque chose de honteux.» Quelle naïveté… La bêtise ignore la honte; l’agressivité lui est consubstantielle et c’est pourquoi
elle nuit depuis toujours au philosophe — contraint au stoïcisme.
vendredi 28 décembre 2012
mercredi 12 décembre 2012
Du nihilisme comme de l'un des beaux-arts — 3
Albert Caraco
Ma Confession
jeudi 6 décembre 2012
L'anti-gnangnan
"Aux fadaises altruistes, on
pourrait aisément opposer les considérations de Freud sur l’instinct de mort,
les analyses de René Girard sur le mimétisme des désirs poussant les humains au
carnage, ou, tout simplement, les aspirations progressistes sincères et
profondes dont tout tueur en série est animé — comme en témoigne ce billet
glissé par Jack l’Éventreur dans le sac à main d’une de ses victimes :
«Un jour les hommes se souviendront, et comprendront, que j’ai donné
naissance au XXe siècle».
Une parabole valant mieux que des
raisonnements, voici le récit que Critilo fait à son jeune élève Andrénio dans
le Criticón de Baltasar
Gracián : On jette vivant un criminel dans une fosse profonde grouillant
d’affreux insectes, de reptiles, de fauves, après quoi on en ferme
hermétiquement l’ouverture afin qu’il périsse à l’abri des regards. Un voyageur
vient à passer par là. Entendant des
cris de douleur et des appels à l’aide, il retire la dalle qui obstrue la
fosse. Aussitôt, un tigre bondit, et le voyageur, qui croit être déchiqueté sur
le champ, voit que le fauve lui lèche les mains. Quand surgit un serpent, il
craint d’être étouffé quand celui-ci s’enroule autour de ses jambes ; mais
il est surpris de constater que l’animal se prosterne à ses pieds. Toutes les
autres bêtes font de même, lui rendant grâce de leur avoir sauvé la vie menacée
dans cette périlleuse promiscuité avec un homme. Reconnaissantes à l’égard de
leur bienfaiteur, elles lui conseillent de filer au plus vite avant qu’il ne
soit menacé à son tour par le cruel prédateur. Et, sitôt dit, elles s’enfuient
les unes en volant, les autres en courant, d’autres encore en rampant. Resté
seul et perplexe, le voyageur voit enfin l’homme sortir. Ce dernier, pensant
que son libérateur a de l’argent, se rue sur lui, le tue et le dépouille. Et
Critilo de conclure que la nature, pour éviter que des espèces
s’entredétruisent, fut bien avisée de faire en sorte que les animaux les plus
dangereux ne pussent jamais égaler la férocité humaine."
In Le Philosophe sans qualités
Flammarion
jeudi 29 novembre 2012
mardi 20 novembre 2012
Un nihiliste balnéaire à Paris
"Pour suggérer combien les destinées humaines sont
fragiles et aléatoires, Héraclite écrivait: «Le temps est un enfant
qui joue au tric-trac. Royauté d’un enfant.» Or, comme s’il eût la réminiscence
de cet aphorisme, Peckinpah nous en proposait une version sauvage. La première
séquence [de The Wild bunch] montrait un petit groupe d’enfants accroupis devant une ornière
se réjouissant de l’agonie d’un scorpion qu’ils avaient capturé et jeté au
milieu d’un grouillement de fourmis rouges. Puis, comme si la cruauté de ce
spectacle ne leur suffisait pas, les gamins mettaient le feu aux bestioles,
redoublant ainsi de joie et d’hilarité. Là, en quelques secondes, Peckinpah
nous délivrait sa vision de l’humanité. Le monde est une horreur parce qu’il
est infesté d’humains, espèce dont la férocité surclasse celle de toutes les
espèces animales les plus venimeuses et qui se manifeste déjà pleinement chez
les petits — comme on peut l’observer dans cette première scène filmée à la
manière d’une leçon de choses."
In La Beauté, une éducation esthétique
(Éditions Autrement)
mercredi 14 novembre 2012
Cool summer memory
Guéthary - Juillet 2012
F.S.: Dis, Frédéric. Pourquoi lire? Pourquoi écrire?
F.B.: Je lis pour passer le temps et j'écris pour le retenir.
mercredi 31 octobre 2012
Le plaisir de rabaisser
Jacques Truchet note que "le mérite des Maximes est qu'elles empêchent de dire un certain nombre de sottises". Or, dans le dernier Philosophie magazine consacré à La Rochefoucauld, Louis Van Delft se permet d'avancer que le moraliste "est un résistant, un ”indigné”, un militant", menant croisade contre les "apparences" et autres "impostures". Ce monsieur s'égare. Nous lui rappellerons que le dessein du vieux samouraï libertin et stylé n'est pas d'édifier les hommes, encore moins de les éclairer, mais, en passant, de les démoraliser tant leur vice le plus funeste est de croire en eux-mêmes.
P.S.: Nous conseillons aux abonnés de notre blogue désireux de visionner la petite vidéo ci-dessus, de couper le son afin de n'être pas importunés par une musique grandiloquente.
lundi 29 octobre 2012
jeudi 25 octobre 2012
Bonne nouvelle, mauvaise nouvelle
Librairie Bookstore de Biarritz
(photographie prise du divan)
Nous avons deux nouvelles à annoncer aux abonnés de notre blogue — bonnes ou mauvaises, comme ils voudront les interpréter.
Demain, vendredi 26 octobre, à Bordeaux, sur le coup de 18h30, sous les belles voûtes en pierre de la librairie La Machine à lire, nous persisterons à soutenir publiquement que si les jolies filles affolent le désir masculin, les belles femmes, elles, l'anesthésient; à souligner que la sensibilité n'est en rien la faculté au monde la mieux partagée; à confesser que le cinéma de notre adolescence offrit à notre ennui ses plus passionnantes récréations et contribua en grande part à notre éducation sentimentale; à expliquer en quoi les œuvres d'art nous ont invité à des dépaysements métaphysiques et, en même temps, ont avivé notre lucidité sur la réalité; à reprendre, dès lors, l'idée de notre cher Oscar Wilde selon quoi c'est bien la vie qui imite l'art et non l'inverse; à répéter que le prétendu art contemporain n'est qu'un attrape-jobards, et, enfin, à déplorer qu'il ne nous reste plus que la nostalgie des émois esthétiques de notre jeunesse.
Non seulement nous persisterons à dire tout cela, mais nous signerons aussi notre ouvrage à l'attention de nos lectrices et lecteurs nouveaux, occasionnels ou fidèles.
Le lendemain, samedi 27 octobre, ce sera cette fois à Biarritz, à partir de 16h30, que nous dédicacerons La Beauté au premier étage du Bookstore, l'élégante librairie tenue par Kristel et Inès, courageuses et souriantes amies des livres.
mercredi 17 octobre 2012
Fin de la Corée du sud
The Devils — Ken Russel (1971)
Nous sommes inquiets. À Séoul, la Commission Éthique des Publications revient sur sa décision d'interdire les Cent-vingt journées de Sodome du marquis de Sade. Heureusement, elle n'en autorise pas la vente (sous papier plastifié) aux jeunes gens et aux jeunes filles de moins de dix-neuf ans. Nous ignorons si cette demi-mesure de prohibition s'étendra au Dialogue entre un prêtre et un moribond, ouvrage pseudo-philosophique dont l'obscénité atteint pourtant des sommets comme on peut en juger avec l'extrait suivant, insoutenable:
" […] — Le Moribond: La raison, mon ami, oui, la raison toute seule doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre heureux, et notre cœur, que de contribuer à leur félicité, est la plus grande pour nous que la nature nous ait accordée sur la terre; toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot: rendre les autres aussi heureux que l'on désire de l'être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n'en voudrions recevoir. Voilà, mon ami, voilà les seuls principes que nous devrions suivre et il n'y a besoin ni de religion, ni de dieu pour goûter et admettre ceux-là, il n'est besoin que d'un bon coeur.
Mais je sens que je m'affaiblis, prédicant, quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans espérance; laisse là tes dieux et tes religions; tout cela n'est bon qu'à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre, que toutes les autres guerres et les autres fléaux à la fois. Renonce à l'idée d'un autre monde, il n'y en a point, mais ne renonce pas au plaisir d'être heureux et d'en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t'offre de doubler ton existence ou de l'étendre. Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l'ai encensée toute ma vie, et j'ai voulu la terminer dans ses bras: ma fin approche, six femmes plus belles que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci, prends-en ta part, tâche d'oublier sur leurs seins à mon exemple tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs de l'hypocrisie[…]."
Mais je sens que je m'affaiblis, prédicant, quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans espérance; laisse là tes dieux et tes religions; tout cela n'est bon qu'à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre, que toutes les autres guerres et les autres fléaux à la fois. Renonce à l'idée d'un autre monde, il n'y en a point, mais ne renonce pas au plaisir d'être heureux et d'en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t'offre de doubler ton existence ou de l'étendre. Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l'ai encensée toute ma vie, et j'ai voulu la terminer dans ses bras: ma fin approche, six femmes plus belles que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci, prends-en ta part, tâche d'oublier sur leurs seins à mon exemple tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs de l'hypocrisie[…]."
Oserons-nous transcrire la scène d'une rare violence par quoi le dialogue se termine? Il le faut afin de comprendre pourquoi nous tenons Sade pour un écrivain malsain:
"[…] Le moribond sonna, les femmes entrèrent et le prédicant devint dans leur bras un homme corrompu par la nature, pour n'avoir pas su expliquer ce que c'était que la nature corrompue.[…]
vendredi 21 septembre 2012
Foutredieu !
Jan Saudek
«Un de mes grands plaisirs est de jurer Dieu quand je bande. Il me semble que mon esprit, alors mille fois plus exalté, abhorre et méprise bien mieux cette dégoûtante
chimère…»
Donatien Aldonze François de Sade
dimanche 16 septembre 2012
À la recherche du cinéma d'avant
Arnaud Le Guern
Lutétia, avril 2011
Arnaud Le
Guern est né en 1976, année caniculaire qui annonçait la fin des Seventies.
C’était aussi l’année de mes vingt automnes (je suis né en octobre). «Quand
on aime la vie, on va au cinéma», disait un slogan publicitaire de
l’époque. Me concernant, ce fut le cinéma qui me fit aimer la vie. Le cinéma et,
soyons juste, les filles. Je les emmenais voir des films américains, italiens,
français. Quand un film était moyen je trouvais commode d’avoir une poitrine à
caresser sous un chemisier ou un shetland. Cela n’arrivait pas devant un film
de Claude Chabrol ou de René Clément. Et pour cause: j’étais amoureux de
Stéphane Audran, de Marie Laforêt, de Romy Schneider. C’est devenu le cas d’Arnaud
Le Guern. La cinéphilie est une forme raffinée de nostalgie. Il n’y a qu’à lire
Une âme damnée. Bien sûr, voilà un
livre comme je les goûte: écrit à la hussarde — au sens de Bernard Frank.
Bien sûr, il s’agit d’une biographie de Paul Gégauff, dandy, play-boy,
flambeur, scénariste et dialoguiste efficace et cynique des cinéastes de la nouvelle vague. Bien sûr ces chapitres courts, denses,
enlevés, se lisent comme les pages d’un scénario qui ne demande qu’à être mis en
images. Bien sûr, on se laisse embarquer par le récit de la vie de ce voyou
magnifique assassiné à coups coups de couteau par sa jeune et belle épouse — « Tue-moi si tu veux, mais arrête de m’emmerder !», lui dit-il
imprudemment lors de leur ultime et fatale dispute. Mais, on comprend bien que pour
Arnaud Le Guern, le personnage de Gégauff n’est qu’un prétexte pour déclarer
son amour aux actrices du monde d’avant, quand le cinéma savait photographier
leur regard mélancolique, leur silhouette élégante, leur visage émouvant de
garce ou d’âme perdue. Aujourd’hui, quelle actrice le bouleverserait ?
Audrey Toutou ? Valérie Lemercier ? Marion Cotillard ? Le Gégauff d’Arnaud Le Guern m’a conforté
dans cette certitude : quand on aime les femmes, il ne faut plus aller au
cinéma.
dimanche 9 septembre 2012
Philosophie sous parasol
Séance de lecture publique sur la plage de Guéthary
samedi 8 septembre 2012
Photographie de Claude Nori
"La moindre obligation sociale me lasse avant même que j’y sacrifie et m’irrite si elle s’éternise. À peine suis-je en société que le vide me manque. Rien ne m’est plus insupportable que la présence de bonshommes et de bonnes femmes pétant d’optimisme et embesognés à 'avancer dans la vie' alors que, au bout de leur trajectoire, leur tombe, déjà ouverte, les attend. Tout devient prétexte à les fuir et, pour me soustraire à l’effervescence générale, à multiplier les pauses: pause amour, pause rêverie, pause sieste, pause soleil, et, au cours de ses pauses, encore des pauses où je tente d’atteindre à la totale immobilité. Si bien que, mises bout à bout, toutes ces pauses finissent par conférer à ma vie un air de dolce vita qui n’a rien à envier à la vie bonne prônée par les philosophes et les poètes antiques."
In Philosophie sentimentale
(Éditions J'ai lu)
lundi 3 septembre 2012
Claude Nori à la Maison Européenne de la Photographie
Claude Nori
"Le cinéma c'est l'art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes", disait François
Truffaut. Claude Nori dit quant à lui que les jolies filles ont l’art de lui faire faire de belles photos. Surtout l’été. Car l’été c’est leur saison, aux
jolies filles. Elles en profitent. Elles posent sur la plage
afin que les hommes les photographient du regard. Claude Nori, lui, les photographie
tout court. Il les veut jolies à jamais. Il ne leur demande pas la permission.
Elles le laissent faire. Elles voient que ce n’est pas un dragueur, qu’il est juste
amoureux d’elles et qu’elles le rendent heureux. C’est ce qui lui fait dire
toujours quand nous nous baladons sur le sable : « Tu t’imagines,
Federico ? Une plage sans jolies filles ? Ce serait un orrore assoluto !»