"La vie
amoureuse m’assomme si je ne peux assouvir sur ma partenaire mes penchants
pédagogiques et pervers qui procèdent, bien sûr, d’une seule libido. L’amener à
mes vues intellectuelles et à mes phantasmes sexuels, voilà ma grande affaire —
à quoi je tente de parvenir sans violence, sans chantage ni promesses, au seul
moyen de ma rhétorique exercée à révéler chez elle son désir d’être en même
temps instruite et pervertie."
«
[…]Notre monde est le premier à avoir inventé des instruments de persécution ou
de destruction sonores assez puissants pour qu'il ne soit même plus nécessaire
d'aller physiquement fracasser les vitres ou les portes des maisons dans
lesquelles se terrent ceux qui cherchent à s'exclure de lui, et sont donc ses
ennemis. A ce propos, je dois avouer mon étonnement de n'avoir nulle part
songé, en 1991, à outrager comme il se devait le plus galonné des
festivocrates, je veux parler de Jack Lang ; lequel ne se contente plus d'avoir
autrefois imposé ce viol protégé et moralisé qu'on appelle Fête de la Musique,
mais entend s'illustrer encore par de nouveaux forfaits, à commencer par la
greffe dans Paris de la Love Parade de Berlin. Je suis véritablement chagriné
de n'avoir pas alors fait la moindre allusion à ce dindon suréminent de la
farce festive, cette ganache dissertante pour Corso fleuri, ce Jocrisse du potlatch,
cette combinaison parfaite et tartuffière de l'escroquerie du Bien et des
méfaits de la Fête. L'oubli est réparé.[…] »
"Quand
j’étais enfant, mon héros cinématographique, comme pour beaucoup de gamins,
était Charlot — je ne parle pas des personnages que Chaplin jouera dans ses
longs métrages et que je découvrirai plus tard au ciné-club de mon lycée et tels que: Les
lumières de la ville, Les Temps
Modernes, Le Dictateur,et le plus sombre d’entre eux, Monsieur Verdoux. Si je ne mesurais pas
tout le fond subversif de cette forme de burlesque, j’en subissais avec
jubilation les séductions. J’en percevais vaguement aussi la tonalité tragique,
le fond pessimiste. Car le génie de Chaplin n’était pas seulement de susciter
par le rire une vive sympathie pour le personnage d’un vagabond rebelle,
espiègle, allergique aux policiers, rétif au travail, amateur de jolies filles,
etc., mais de rappeler que la vie pouvait à tout moment devenir une suite de
mésaventures sur fond de désolation et qu’aucune structure ne soutenait
durablement le monde. «Legrand thème de la vie, c'estlalutteetla souffrance», écrivait-il dans Ma vie ; ou encore : «Labeautéestuneomniprésencedelamortetducharme, une tristesse souriantequ'ondiscernedanslanatureetentoute chose». Qu’il fût patineur, usurier, employé dans un
cirque, chercheur d’or, etc., Charlot incarnait l’Irrégulier qui, par ses
gaffes, ses maladresses, ses irrévérences, et sans déranger l’impeccable mise
de ses frusques, replongeait le monde dans son état initial de chaos chargé de
tous les périls. Ce clochard sentimental toujours fauché et, quoi qu’il arrive,
tiré à quatre épingles, fut mon premier maître en dandysme et en anarchisme."
«Comme certaines personnes sont rassemblées par leur amour commun pour
Debussy, les voyages ou les tailleurs anglais, et aussi comme certains hommes
aiment les blondes ou détestent les Juifs, je suis sensible aux gens qui s’ennuient.
L’ennui et la neurasthénie, que je ne suis pas prêt à confondre, me plaisent au
même titre qu’une grâce morale ou physique. Lorsque je dis d’une personne:
”C’est quelqu’un qui s’ennuie bien”, c’est que je veux en faire l’éloge et
lorsque je demande: ”Est-ce que cette personne s’ennuie beaucoup? ”,
je veux faire entendre: ”Croyez-vous que cette personne me plaira?”.
C’est purement un goût, où il n’entre, je m’en réjouis, aucune espèce de pitié.»
Hier, un coursier en provenance de Paris nous a apporté quelques exemplaires de notre prochain ouvrage, La Beauté, Une éducation esthétique, publié par les soins de la maison d'édition Autrement. Hélas!, avons-nous pensé, comme sa sortie en librairie n'est prévue que le 12 septembre, nul livre, cet été, ne fera la joie de nos enthousiastes lectrices! Bah!, nous sommes-nous dit aussitôt, elles n'auront qu'à glisser tel ou tel de nos précédents chefs-d'œuvre dans leur sac de plage et en reprendre de merveilleux passages entre deux baignades.
J’écris des essais parce que je n'ai pas eu le talent de
composer des chansons sentimentales. Même ridicules. D’ailleurs, comme l'aurait dit Fernando Pessoa, toutes les chansons sentimentales sont ridicules mais,
à la vérité, ce sont les gens qui n’écoutent pas les chansons sentimentales qui
sont ridicules. Voilà pourquoi je réécoute le cœur noyé de nostalgie les
chansons sentimentales de mes dix-huit ans, l’âge où je feignais de les
trouver ridicules.