mardi 16 mai 2023

Rétrécissement par deux lecteurs de qualité


 

Merci Michèle Furtuna

«Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre» écrit Montaigne dans le livre III des Essais

Pour autant, on ne se livrera pas ici au petit jeu qui consiste à débusquer le vrai dans le faux, le faux dans le vrai, et réduit la littérature à un joli calque. On s’y refuse absolument car elle vaut infiniment mieux que ça. Tout est vrai ici donc tout est faux, tout est faux donc tout est vrai. Rétrécissement de Frédéric Schiffter est un roman, s’annonce comme tel et tient ses promesses. Un très bon roman, même. 

Le narrateur un tantinet désabusé, Baudoin Villard, en nous racontant sa vie, en nous parlant de son métier de professeur de philosophie, de son expérience de l’amour et de la conjugalité (il est en plein divorce), de l’amitié, de la famille, nous livre de manière élégante, fine et jamais sentencieuse, son regard sur tous ces sujets. Lesquels sujets conduisent à un élargissement du propos, du singulier vers l’universel, le narrateur a lu Montaigne: parler de soi, c’est parler de tous les hommes, des questions essentielles que se pose tout être qui réfléchit à son humaine condition. À son rapport au temps, à sa géographie personnelle (temps et espace sont deux sujets primordiaux ici), à sa relation aux autres, à la société, à la maladie, à la mort. Et même à sa relation à la littérature et à la philosophie.

D’astucieux biais narratifs (les discussions avec le voisin Lévy, la thèse du psychiatre, la lettre de l’infirmière, etc.) permettent la polyphonie et l’introduction de points de vue extérieurs, dans un récit écrit à la première personne, léger, jamais verbeux, souvent très drôle par-delà sa tonalité mélancolique.

Les derniers chapitres sont absolument bouleversants, on les lit d’une traite, et on termine essoufflé et sonné.

Merci, Pierre Latiere

Rétrécissement est un livre rare car 100% sans moraline, sans indignation, sans analyse psychologique (de comptoir) des personnages. Il s’en tient à ce qui est. Et à ce qui doit fatalement arriver. Il ne flatte pas (c’est un euphémisme) celles qui sont devenues les principales cibles du marketing littéraire: les femmes. Le style est toujours aussi svelte et juste. C’est un roman «tragique»: il ne cherche pas à cacher le caractère tragique de la vie et du réel, au contraire il l’expose cliniquement. Le paradoxe est qu’on peut même le lire en riant, comme Kafka quand il citait à ses amis des passages de La Métamorphose


 

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