Un éditorialiste médiatique, omniprésent à la télévision et sur les ondes, est le larbin d’un pouvoir, d’un parti, d’un groupe d’intérêts économiques ou financiers, et sa tâche est d’en faire la propagande. S’il n’apparaît pas avec un badge d’identification du think tank ou du lobby qui le paie, sa rhétorique le trahit. Mais comme très peu de gens ont l’oreille fine, nombre de gogos s’imaginent que l’éditorialiste médiatique est un esprit libre, mu par le pur mobile de faire valoir ses propres opinions, informées et avisées, et ils l’écoutent comme s’il s’agissait d’un intellectuel. Sans doute est-ce pourquoi les patrons des médias audio-visuels salarient depuis quelques temps des intellectuels — appelés aussi "philosophes" au mépris de toute précision sémantique — comme des éditorialistes permanents ou occasionnels. Jadis, Pierre Bourdieu brocardait le dévoiement de l’intellectuel qui désertait son bureau le temps d’une mode pour aller faire l’histrion dans le cirque de l’opinion journalistique. «Qui parle (dans les médias)?, demandait-il. Ce sont des sous-philosophes qui ont pour toute compétence de vagues lectures de vagues textes.[…]Ce sont des demi-savants pas très cultivés qui se font les défenseurs d’une culture qu’ils n’ont pas, pour marquer la différence d’avec ceux qui l’ont encore moins qu’eux». Bourdieu est mort trop tôt pour voir que, désormais, les intellectuels engagés le sont au sens où l’entend un patron quand il engage un employé. Tant et si bien que, comme cela devait se produire, les consommateurs de médias pensent aujourd’hui que l’activité consistant à pérorer sur l'actualité à la télévision et depuis les studios de radios en compagnie de vedettes attitrées de la jacasserie en continu, est, pour Michel Onfray, Luc Ferry, Alain Finkielkraut — avant que LCI ne le renvoie —, d’autres encore, la manière la plus démocratique d’exercer la pensée. Si téléspectateurs et auditeurs ne distinguent plus les éditorialistes des intellectuels, ce n’est pas tant parce que ces derniers exécutent avec zèle le rôle que leurs employeurs leur assignent, mais parce que l’éditorialisme représente à leurs yeux le pompon de leur carrière. D’aucuns, parmi eux, s’abaissent davantage en visant plus haut. Michel Onfray, par exemple, ayant rameuté autour de lui, par le biais de sa revue, Front populaire, une bande de plumitifs condamnés à le flatter, nourrit l’ambition de se présenter aux élections présidentielles — sauf si un autre nouveau philosophe, Éric Zemmour, s'y porte candidat. L’ex-hédoniste solaire passé au proudhonisme franchouillard, ne fera pas la sourde oreille si le pays, en quête de redressement, vient, dixit, le «plébisciter» sous ses fenêtres (clic). Dans mon dernier opus (clic), je désigne les intellectuels, quelle que soit la soupe idéologique qu’ils servent, sous le nom de philodoxes: les amis de l’opinion. Je cherche un autre terme qui, pour les caractériser, contiendrait l’idée d’une pauvre intelligence, pitoyable et ridicule. Éditorialistes fera l’affaire.
Pitoyable cette supplique d’Onfray pour qu’on le plébiscite.
RépondreSupprimerTout le personnage est là.
SupprimerPour Céline, les intellectuels sont passés maîtres dans l'art "d'esquiver l'essentiel, branler "l'accessoire". Les qualifier de "branleurs" peut sembler grossier mais aussi proche de la vérité... Pierre L.
RépondreSupprimerAvec votre physique, vous auriez fait un magnifique éditorialiste. Mais votre lucidité vous aura permis d'échapper à ce ridicule. Comme quoi, une lecture attentive et fidèle de Cioran et de Schopenhauer permet d'éviter le pire. Et dire qu'Onfray, à 27 ans, se réclamait d'eux, comme l'écrit Jaccard dans son dernier livre.
RépondreSupprimerPetite requête : j'aimerai un billet de vous sur Léo Ferré...
Bonjour Monsieur Schiffter,
RépondreSupprimerTout d'abord, j'ai lu ( avec plaisir )et acheté la plupart de vos livres. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi ces gens que vous trouvez "inintéressants " c'est votre droit et peut-être même avez vous raison les concernant, suscitent chez vous tant de commentaires negatifs répétés?Pourtant, il me semble qu'aucuns d'entre-eux ne s'attachent à parler de vous.
Avec plus haute et sincère considération.
Cordialement
Pascal Tranchand
Monsieur,
SupprimerJe parle d'une pathologie qui afflige ces gens: l'éditorialisme.