L’autre jour, mon attestation de déplacement dérogatoire en poche, je flânais sur la promenade des plages, allant de la Chambre d’amour à la Madrague. Il faisait frais, mais le soleil me chauffait le dos à travers la toile de ma veste d’officier. Tout en jetant des regards aux vagues de grosse taille auxquelles peu de surfeurs osaient s’attaquer, je réfléchissais à la réception de mon livre, Contre le Peuple. On ne comprendra pas mon propos selon lequel le peuple n’existe pas, me disais-je, tout comme on ne me comprend pas quand j’avance que le monde n’existe pas. De même qu’on refuse de voir que ce qui existe réellement, à savoir le hasard, le temps, la mort, entrave l’avènement d’un monde qui suppose finalité et pérennité, de même refusera-t-on de voir que ce qui existe aussi réellement, à savoir des individus et des groupes sociaux en guerre les uns contre les autres, ne permet pas la formation d’un peuple qui suppose une volonté générale tendue vers des fins communes. Les deux mirages ontologiques du monde et du peuple partagent la même invulnérabilité face à la critique non d’un point de vue intellectuel mais affectif. On peut admettre que l’idée de monde repose sur une téléologie et l’idée de peuple sur une cristallisation, mais à peine aura-t-on donné son assentiment aux arguments qu’on s’empressera de les censurer en raison d’une sensation de danger de perte imminente. Il est rare qu’un raisonnement produise la fin d’une illusion. Au contraire, il la renforce. Concernant la notion de peuple, les esprits qui prétendent défendre les intérêts de cette chimère, je pense notamment à bon nombre d’intellectuels «engagés», auraient trop à perdre s’ils cessaient d’y croire. Car, bien sûr, ce n’est pas la cause dudit peuple qu’ils défendent, mais la leur. Le militantisme distrait de l’ennui et console les déboires. En se portant solidaire du malaise social des classes inférieures — nommées avec démagogie le «peuple» — on s’imagine donner un peu d’allure à ses petites misères personnelles. L’idéal de la cause du peuple appartient aux illusions vitales dont parlait Nietzsche grâce auxquelles on pare son ressentiment propre et son activisme gesticulatoire d’un sens social, politique, historique. Le peuple n’existe pas mais son idée est pathologiquement indestructible me disais-je en apercevant deux jolies qui s’étaient dénudées pour plonger dans la vague du bord. Instantanément, je ne pensai plus à mon factum et enviai l’océan.
Grand merci pour ce post. Dans le zoo des chimères il y a aussi l'Humanité et toutes les sornettes qui vont avec.
RépondreSupprimerLa chute est assez réjouissante. Pour tout ce qui précède je vous remercie de formuler avec autant d’élégance ces pensées auxquelles je ne peux que souscrire
RépondreSupprimerVoila pourquoi n'étant pourtant pas de droite, je n'arrive pas à être de gauche. Merci pour ces mots
RépondreSupprimerLe monde, le peuple, l'Humanité - en dernier ressort ce sont des projections fantomatiques du moi, comme fantasme d'unité et de pérennité.
RépondreSupprimerCher Frédéric,
RépondreSupprimerBillet très intéressant merci. Que revêt l’idée de peuple, sinon le sentiment de passer de la solitude à la multitude, abstraction idéalisée, sans doute réconfortante qui couvrirait au fond toutes nos peurs et toutes nos angoisses.
Je m’interroge aussi sur cette chimère que la plupart des penseurs suggèrent dans leur théorie du contrat : la notion de peuple souverain…
Michel Onfray a oublié d'être un "philosophe", il est devenu un politicien. Il est donc impossible pour lui d'être au-dessus de la mêlée. Il est donc régulièrement dans la boue et la fange de l'humanité.
RépondreSupprimerLe seul "philosophe", qui ne revendique en aucun cas ce titre ronflant, est à mon avis : Frédéric Schiffter (tout comme l'était Clément ROSSET). Il est nettement au-dessus de la mêlée.
Il a l'art et la manière d'avoir toujours un petit pas de côté nonchalant et cynique vis-à-vis de tous ces "peuples" qui s'imaginent être le nombril du monde (peuple de droite, de gauche, d'extrême droite, d'extrême gauche, peuple islamiste, musulman, catholique, protestant etc...). Il a toujours le chic également d'être au-dessus de ceux qui s'imaginent faire partie des "élites".
C'est le seul qui a compris que tout ce qui existe ne dépend que du temps, du hasard et de la mort. Qu'il n'y a pas un sens à donner à la vie. Qu'il y a uniquement deux sens, on rentre dans la vie la tête la première et on en sort les pieds devant. Et pendant le peu de temps de la vie, on bricole tous dans l'incurable (Cioran). Allez enseigner cela à l'école française aujourd'hui, vaste sujet. Et pourtant, ce serait tellement plus jubilatoire.
Mais F. Schiffter est inaudible aujourd'hui dans cette foire de "peuples" et d'"élites" où chacun veut imposer à l'autre sa "vérité". Rien ne change sous le soleil !
Comme lui, j'en ai plus qu'assez des rengaines covidiennes ou des rengaines islamistes et autres joyeusetés de même acabit (même si je fais semblant comme tout un chacun de jouer un rôle pour éviter de me faire bouffer par l'autre qui veut s'imposer).
Un autre personnage qui gagne à être connu : Thomas MORALES.
Lisez ces chroniques : "les plaisirs coupables de Thomas Morales, sous des aspects réactionnaires voire ringards, elles sont magistralement cyniques et modernes.
Rien que le titre : "plaisirs coupables" est une révolution aujourd'hui dans cette France de coincés aux entournures et donc de fanatiques bornés.
Laissez-moi manger des barbecues tout l’été!
Les plaisirs coupables de Thomas Morales (1/9)
Y en a marre des rabat-joie qui pullulent chez toutes ces minorités vocifératrices (islamistes, religieuses et ce quelle que soit la religion, indigénistes et donc racistes, liste non exhaustive hélas !)
Comme l'écrivait F. Schiffter, la philosophie des trois "S" est à pratiquer plus que jamais : Sexe, Sieste, Surf.
Adio
https://www.causeur.fr/barbecues-ete-vacances-viande-chaleur-152794
P.S. : je venais d'écrire sur un autre blog ce qui précède avant de lire votre billet du jour. Cordialement. Heureusement que vous êtes là pour nous apporter une bouffée d'air frais de l'océan.