L’une des formes les plus pathétiques du riquiqui consiste à avoir honte de ce qu’on est, partant à désirer être une autre personne, plus remarquable, et, à cette fin, à se livrer à moult gesticulations et à tenir maints discours, mais, hélas, pour cela même, à demeurer tel qu’on est, voire : à aggraver sa nullité. Ce ressentiment tourné contre soi s’appelle aussi le bovarysme.
Emma, l’héroïne de Flaubert, souffre de végéter dans sa condition sociale de petite-bourgeoise de province. L’imagination excitée par ses lectures romanesques, elle aimerait tant vivre des aventures sentimentales passionnantes ! Mais, n’étant que la fille d’un paysan normand, la voilà mariée à un type falot et, quand elle se décide à prendre des amants, c’est pour tomber à nouveau sur des minus. Le sort de la médiocrité s’acharne sur son désir d’être une amazone volcanique. Elle qui rêva tant d’être l’artiste de sa vie n’échappera pas au destin d’une triste desperate housewife. Elle sera mère de famille. Seul le suicide confèrera un peu de grandeur à son ratage.
Le riquiqui chez Emma est de s’imaginer qu’elle méritait un standing existentiel plus élevé que le sien. Si, comme nombre de ménagères d’aujourd’hui, elle avait eu la prétention de lire Nietzsche plutôt que Walter Scott, elle aurait bassiné son entourage avec ses prétentions à une transfiguration de soi, à une sculpture de soi, à une affirmation de sa volonté de puissance. Elle aurait rebattu les oreilles de son pauvre époux : « Charles ! Je vais me rebeller, transvaluer les valeurs judéo-chrétiennes qui empoisonnent notre ménage et devenir ce que je suis : un Übensmensch-femme ! ».
Ce riquiqui consistant à vouloir contre toute raison changer son manque de style, d’élégance, de culture, d’esprit et d’humour en charme, à s’imaginer, en somme, qu’on peut convertir le plomb de sa personne en or, porte un nom : le délire des grandeurs. Or, pareille folie n’est pas le seul apanage des bonnes femmes mal aimées ou complexées, mais, aussi, d’hommes réputés très posés et réfléchis : les philosophes. Les Cyniques aspiraient à la puissance d’Hercule, les Stoïciens à l’Impassibilité des étoiles, les Épicuriens à l’Autarcie des dieux, Spinoza à la béatitude du Sage, Nietzsche à la grandeur du Surhomme, Debord à la renommée d’un Frondeur, un professeur, plus près de nous, à la vertu du Condottiere.
Dans certains de ses romans, Flaubert visait à décrire avec cruauté la bêtise. Or, on le voit, ce désir si bête de se grandir qui affecte son héroïne est un désir partagé par des esprits de qualités — même si le ridicule saute davantage aux yeux quand il s’agit de leurs suiveurs, dépourvus, comme Emma, du talent de faire illusion.
Flaubert, en vedette ce matin dans les nouveaux chemins, l'émission préférée de la ménagère de moins de 50 ans -même non-nietschéenne repentie-, que je pratique assidûment presque tous les matins pendant ma séance de stepping.
RépondreSupprimerJ'ai retenu cette phrase de l'intervenant du jour "Quoi de plus beau que le chemin qui sépare le désir de son accomplissement".. Je m'en suis pâmée au point d'en suspendre pendant de longues secondes ma séance de torture. Malheureusement je n'ai pas retenu son nom..
Bonne soirée cher Frédéric ! Et bravo pour votre future expérience cinématographique ! Vous nous raconterez ?
Chère Corrine,
RépondreSupprimerNous partageons le même plaisir studieux et... masochiste. Le philosophe sans qualités de plus de cinquante ans que je suis écoute aussi la très bonne émission de Raphaël Enthoven en faisant des pompes, des abdominaux, des exercices de strèteching. Loin de moi le désir de devenir un surhomme mais de rester un type plutôt svelte de silhouette et pas trop empoté des méninges.
Aujourd'hui, pris par mon emploi fictif au lycée, je n'ai pas pu écouter les N.C.C. Je vais la podecaster.
En fait, le film est déjà tourné depuis un bout de temps. Il devrait sortir à l'automne dans des salles d'art et essai. L'expérience du tournage fut très amusante et éprouvante à la fois. Me voilà acteur sans qualités.
Hum ! J'ai ajouté un "r" à votre prénom et supprimé un "n". I bègue yor pardon.
RépondreSupprimerAh, cher Frédéric, voilà donc le secret de votre allure de jeune homme ! C'est une excellente émission même pour les néophytes en matière philosophique comme votre humble servante.
RépondreSupprimerActeur sans qualités ? A vérifier !
Don't woeurry for my name, je m'étais reconnue !
Philosophe et acteur, ce n'est pas incompatible au contraire. Dans un cas comme dans l'autre ne s'agit-il pas de garder un regard distancié sur son propre rôle à seule fin d'une interprétation la plus juste possible ?
RépondreSupprimerCertes, chère Corinne,
RépondreSupprimerFaire dans le monde bonne... figuration et, si on a du texte, comme on dit dans le milieu du cinéma, écrire pour soi de bonnes répliques.
Ou les émois d'EmWa sur une banquette au frais... Quels délices !
RépondreSupprimerIl n'y a vraiment que sur une vague que l'on n'aspire à rien d'autre ...et où l'on affine sa silhouette.
RépondreSupprimerla plus part des hommes ont soit un corps négligé,formé et déformé par les contingences,qui ne parait avoir que fort peu de rapports avec leur esprit et leur nature,soit un corps dissimulé sous le masque du sport qui lui donne l’apparence des heures ou il prend congé de lui même.
RépondreSupprimerCher Musil,
RépondreSupprimerJ'alterne un travail musculaire régulier — visant à gainer ma ceinture abdominale, à affuter mes biceps et mes triceps, à fortifier mes pectoraux et à arrondir le galbe de mes deltoïdes (on n'y pense jamais assez aux deltoïdes) — avec mes exercices spirituels qui confèrent tant d'allure à mon intelligence, dont un, particulièrement efficace, bien que demandant une disposition native : la sieste.
Cher Frédéric, saviez-vous que se développe désormais, au côté du Gnangnan que vous inventâtes, un certain "Gnanisme"? la preuve ci dessous, qui nous vient de la plume de Renaud Camus.
RépondreSupprimer« Plus que la disparition de la crainte, comme élément de décivilisation, j'incriminerais la disparition de la majesté, qui lui est un peu liée mais la dépasse : majesté de la nuit, souillée par les lumières ; majesté de la montagne, gâchée par les aménagements ; majesté de la solitude, pervertie par la signalisation à outrance ; majesté de l'autre, dénaturé par la familiarité ; majesté de la distance, tournée en dérision par l'avion et le tourisme de masse ; majesté de l'intelligence, foulée aux pieds par le spectacle ; majesté de l'enfance, ridiculisée par le gnagnisme et la grossièreté, etc. (On peut remplacer majesté par solennité, rite, protocole, terribilità...) »