vendredi 27 mars 2020

De la distanciation sociale des écrivains


Choses vues hier lors de la promenade permise

Je lis ici et là des attaques visant des «journaux de confinement» publiés dans la presse, comme ceux de Leila Slimani ou de Marie Darrieussecq, accusées d'y étaler «leurs privilèges de classe». Je n’ai jamais lu ces romancières. Par curiosité, j’ai jeté un coup d’œil dans les pages de Marie Darrieusecq parues dans Le Point. En quelques lignes ma doctrine à son sujet était arrêtée. Je pensais que cette auteuse n’avait pas de talent or, maintenant, c’est différent, j’en suis convaincu. Cependant, à propos des critiques adressées à ces deux bas-bleus, on notera qu’elles viennent de gens appartenant soit, comme elles, au milieu de l’édition, soit à la classe moyenne semi-cultivée toujours prompte à se scandaliser à propos de tel ou tel sujet pour étaler sa belle moralité — comme on l'a vu lors de l'attribution du César à Roman Polanski. On notera aussi que ce sont des cadres du secteur culturel, de la gauche radicale à la droite populiste, qui font grand usage du grief de «mépris de classe» à l’encontre de leurs homologues, comme si, dans cette catégorie sociale bien rémunérée et subventionnée, d’aucuns éprouvaient la mauvaise conscience de n’avoir pas campé avec les Gilets Jaunes sur les ronds-points périurbains. À mes yeux, la critique d’un texte littéraire ne peut être que littéraire, non morale ou politique. J’ajouterai qu’un écrivain au travail n’est solidaire de personne, qu’il observe de lui-même une distanciation sociale radicale à l’égard de ses concitoyens en se claquemurant dans sa tour d’ivoire fût-elle dans un immeuble ou une thébaïde. Pour évoquer Montaigne, on ne peut que se réjouir qu’il ait fui sa bonne ville de Bordeaux en pleine épidémie de peste, car ainsi, confiné dans son château, il eut tout loisir d’écrire les Essais, modèle de journal de bord en temps de catastrophe.    

dimanche 22 mars 2020

Considération, vite, sur la crise actuelle


Mon parc (vue partielle)

L’autre matin, j’ai été interrogé par téléphone sur France Inter à propos des changements sociaux positifs que pourrait engendrer la crise sanitaire actuelle. J’ai répondu que le comportement des gens qui fut de se ruer dans les supermarchés pour en vider les rayons, de se balader en foule dans les rues et les parcs, de prendre d’assaut les trains pour se rendre à la campagne ou à la mer, démentait la notion orwellienne de common decency dont se coiffent les jobards de la gauche radicale et, depuis peu, ceux de la droite populiste (clic). En fait de décence commune, on a assisté à une indécence générale, si bien qu’il a fallu réveiller le sens civique du peuple par la coercition policière. Encore une fois, j’eus là la confirmation de mon idée selon quoi la république sans l’ordre et l’autorité, fondée sur la vertu de fraternité, n’était qu’une baliverne. Aucune crise, aucune catastrophe, aucune guerre, n’a jamais amélioré la nature humaine qui, en toute circonstance, comme nous l’enseigne la doctrine irréfutable du péché originel, demeure tarée. En observant le peuple auquel ses amis politiques trouvent tant de moralité, j’ai pensé à la sage formule de Michel Houellebecq : « La gendarmerie est un humanisme ». Ce que je n’ai pas eu le temps de dire à l'antenne, c’est que je voyais deux bons aspects à ce malaise social. Le premier étant, pour faire vite, que le président redécouvrait la nécessité de rétablir les fonctions de l’État-providence qu’il s’appliquait à détruire conformément à la mission que lui avaient assignée les puissances financières ; le second, non moins conséquent, étant que les néo-féministes ont été réduites au silence. Pour un anarchiste réactionnaire dans mon genre, dont la misanthropie et la misogynie s’aggravent avec le temps, voilà deux raisons valables de se réjouir quelque peu.

mercredi 18 mars 2020

Ce que je fais de mieux


Mon parc (vue partielle)

En ce deuxième jour de confinement forcé, je cherche un thème à creuser, une anecdote à raconter. Je suis écrivain. Je devrais savoir tirer profit de cette situation particulière pour exposer les pensées ou les sentiments qu’elle suscite en moi. Or, elle ne m’inspire rien. Pas la moindre considération sur le spectacle d’une société soumise à une sorte de couvre-feu. Mon inquiétude, réelle, demeure à l’état d’émotion stérile. J’ai la sensation que mes facultés intellectuelles se sont confinées d’elles-mêmes à l’intérieur de mon crâne. Pour tenter de les dégourdir, je prends un roman lu autrefois mais mon attention flanche au bout de quelques pages. Je me résigne donc à l’idée que je ne suis ni un écrivain ni un lecteur. Je ne m’en blâme pas pour autant. Aujourd’hui comme hier, je vais prendre un bain en écoutant une émission de France Culture. J’aime bien somnoler dans l’eau chaude avec les voix de gens doctes en fond sonore. Cependant, je ne me raserai pas. Me laisser pousser la barbe, c’est ce que je fais de mieux.