L’autre soir, au restaurant,
Frédéric Pajak m’apprend qu’il avait décidé de quitter Paris en raison de
l’idolâtrie que cette ville voue à Emmanuel Macron. Je lui ai répondu que je ne
comprenais pas sa décision. De quel bonheur allait-il se priver! Ainsi moi qui
vis à Biarritz, lui ai-je dit, je me réjouis de l’amour du président qui y règne. Tout le monde, les jeunes, les vieux, surtout les
femmes, communient dans cette allégresse. Sans doute, ai-je concédé à Pajak, est-il
trop tôt pour mesurer les bienfaits sociaux de l’action de notre nouveau chef d'État, mais on ne peut nier qu’il œuvre d’ores et déjà au redressement de
l’âme des Français. Rien qu’en
prenant l’exemple de mes amis biarrots, ai-je dit à Pajak, tous fervents
partisans d’Emmanuel Macron, je puis affirmer que, depuis l’élection de ce dernier, leur esprit et leur sensibilité se sont aiguisés. Leur conversation
a gagné en qualité, leur personnalité en charme, leurs traits, même, en
beauté. Pareil perfectionnement de leur être a commencé, ai-je dit à Pajak, par
une révolution esthétique domestique. Tous mes amis, chez eux, dans leur entrée, leur salon,
leur chambre à coucher, ont accroché un portrait d’Emmanuel Macron qu’ils ont
découpé dans Paris Match, dans L’Obs ou dans Challenges. Parfois, il s’agit de photographies agrandies où il
pose en compagnie de son épouse Brigitte, souriante et bien habillée. Une amie, très
proche, très chère, conserve une image du couple présidentiel dans son
portefeuille. Or, ai-je dit à Pajak, c’est parce qu'ils vivent sous le regard à la fois
bienveillant et décidé de l’homme qui a fait barrage
au fascisme et au chavisme, que mes amis s’épanouissent. Et
c’est aussi pourquoi, confessai-je à Pajak, je me suis confectionné moi-même
des encadrements de portraits d’Emmanuel Macron que j’ai posés partout chez moi, y compris sur ma terrasse vue mer — afin de m’encourager à opérer en moi-même des réformes intellectuelles et
morales grâce auxquelles je ferai face aux défis de l’avenir. Pajak a écouté
mes paroles. Contre toute attente, il les a entendues. Il m’a promis une allégorie
à l’encre de chine représentant le président et son chien qu’il tient en laisse
guidant la France.
vendredi 27 octobre 2017
jeudi 19 octobre 2017
samedi 7 octobre 2017
Mon utopie est ici, entre la plage, ma chambre, ma bibliothèque
«L’été dernier, une fin
d’après-midi d’août 2016, Jean Le Gall, le directeur des éditions Séguier, me retrouve à la terrasse de l’HP –
c’est ainsi que j’appelle l’Hôtel du palais. Tandis que nous sirotons nos
cocktails en contemplant la lumière qui décline sur la Grande plage, mon ami me
dit:
— Tu devrais écrire sur l’art de s’ennuyer à
Biarritz et je te publierai.
L’idée me plaît.
— Dans le fond, tes livres
te sont inspirés par une douce neurasthénie et Biarritz en est le décor.
Réfléchis à ma proposition.
Une fois seul, je songe à
cet ouvrage. Que faire? Un bref essai philosophique? Un de plus? Cette
perspective ne me réjouit pas. En aspirant le fond de mon verre avec la paille,
une solution m’apparaît avec évidence.
Pour évoquer mon ennui, le
mieux est de rendre compte de mes journées vouées à regarder passer le temps.
L’homme affairé tient un agenda, l’homme sans horaire son journal intime. Le
premier note ses rendez-vous avec les autres, le second consigne ses réunions
avec lui-même. Mon livre est pour ainsi dire achevé. Il sera fait des carnets
écrits du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. Deux ans vécus à Biarritz,
ville de tous mes excès casaniers. Des jours qui se sont succédé entre
flâneries, lectures, griffonnages et siestes. Des nuits à faire les cent pas
dans mon crâne en attente de l’aurore. Des heures qui ont tourné sans déformer
la mollesse de leur cadran. En écrivant ces pages, j’ai trompé mon ennui sans
lui être infidèle.»
Avant-propos aux
Journées Perdues
SÉGUIER
Octobre 2017
mardi 3 octobre 2017
La critique n'est pas une passion de la tête mais la tête de la passion
Stefan Konarske et Auguste Diehl
En allant voir Le Jeune Karl Marx, de Raoul
Peck, je supputais que ce ne serait pas un grand film. Je m’attendais à un
«biopic», comme on dit, planplan mais honnête. Un peu comme le Hannah Arendt de
Margaret Von Trotta. On peut faire la comparaison, en effet. Par-delà les
considérations cinéphiliques, ce film m’a plu. D’abord, j’ai trouvé que les
acteurs incarnant Marx (Auguste Diehl) et le jeune Engels en dandy (Stefan
Konarske), étaient bien choisis. Les actrices aussi, Vicky Krieps et Hannah
Steel qui jouent respectivement les épouses de Marx et de Engels —
l’aristocrate Jenny Von Westphalen et l’ouvrière Mary Burns. Ensuite, il m’a
semblé que Peck connaissait bien l’œuvre de Marx, ou, du moins, qu’il avait
pris la peine de se documenter sérieusement sur cette période (1840-1848)
durant laquelle le jeune hégélien de gauche (Marx a 23 ans en 1840) mûrit sa
réflexion et sa critique du capitalisme en s’attelant à la lecture de Ricardo
et de Smith. Enfin, le film est louable en ce qu’il permet de comprendre
comment, bien qu’il ait toutes les polices aux trousses et suscite l’antipathie
dans les milieux révolutionnaires, Marx s’impose comme le théoricien de
référence du mouvement ouvrier englué jusque-là dans les marais humanistes et
philistins du proudhonisme. Malgré ses imperfections, ce film m'a permis
de retrouver le philosophe de mes jeunes années durant lesquelles j'avais fait
mienne sa devise: Mockery
and contempt. Je conserve une grande estime pour le penseur
du réel, le redoutable polémiste, le cruel pamphlétaire. Marx était un
écrivain. Je me flatte d’être un des rares à l’avoir lu — contrairement à
nombre de têtes plates qui n’en parlent que par ouï-dire ou en évoquant la
révolution russe — parce qu’on leur a dit qu’il y avait un lien entre Marx et
Lénine. Pour finir, je ferai une critique majeure à Raoul Peck qui a eu le
mauvais goût de terminer son film avec une chanson de ce couineur de Bob Dylan.
Il eût été mieux inspiré s'il avait choisi comme ultime plan l’impression de
cet extrait de lettre de Engels adressée au poète Ferdinand Freiligrath (en
1852): «Comment des
gens comme nous [Marx et, lui, Engels] qui fuient comme la peste les
positions officielles, peuvent-ils avoir leur place dans un “parti”? Que nous
importe un “parti ” à nous qui crachons sur la popularité, à nous qui
commençons à ne plus savoir où nous en sommes dès que nous nous mettons à
devenir populaires? Que nous importe un “parti” c’est-à-dire une bande d’ânes
qui ne jurent que par nous parce qu’ils nous considèrent comme leurs égaux?»