«[…] N’ayez crainte, mon ami,
je n’ai point pris ombrage des mots avec quoi ce ministre a tenté de ternir La Princesse de Clèves. Pourquoi
souffrirais-je d’une attaque à propos d’un ouvrage dont la rumeur et elle seule
m’attribue la facture ? Quand bien même serais-je l’auteur de ce petit
roman, qui, à Paris, donnerait crédit au jugement d’un homme sans goût pour les
choses de l’esprit, uniquement attaché à cette ferblanterie d’apparat dont il
croit nécessaire de s’accoutrer pour prouver la petite hauteur de sa condition,
qui enrage de n’être point reçu là où se rencontrent les personnes de qualité, sauf,
d’après ce qui est dit, en la maison de Madame de *** où, par son opiniâtreté à s’y faire
connaître, il jouirait de quelque considération et de quelque largesse?»
« […] Vous me
demandez aussi, Monseigneur, si le Pape pourrait se recommander des conseils de
gouvernement que je crois bon de prodiguer en général aux autres princes et je
ne puis que vous répondre par l’affirmative. L’histoire qui est la maîtresse
d’où je retire mes observations, enseigne que le Pape, autant que les autres
princes désireux de conserver leur autorité suprême, doit observer la prudence
consistant à utiliser le mensonge, la cruauté et la corruption. Concernant le
mensonge, la tâche lui est plus aisée que dans les autres formes de
gouvernement puisque ses sujets, je veux dire le peuple des chrétiens, étant
d’une grande faiblesse d’esprit et fort crédules à l’égard des fables bibliques,
il pourra mettre en circulation toute forme de contrevérité, de la nouvelle
déformée à la calomnie en passant par les intrigues cachées. Sa cruauté quant à
elle devra rester secrète quand elle a pour but d’anéantir et d’effrayer les
ennemis internes de l’Église mais se parer des dehors les plus nobles et
proclamer les plus saintes cautions quand elle a pour but d’anéantir et
d’effrayer ses ennemis extérieurs. Comme il passe auprès de son peuple pour le
représentant de l’équité divine, il n’omettra pas de faire aussi le bien par
des œuvres de charité car ainsi sa cruauté en sera comme édulcorée et même
ornée de grandeur. Enfin, connaissant la nature pécheresse des hommes, le Pape
ne négligera pas de monnayer habilement leur servitude, ainsi que la
bienveillance d’autres princes, quand pareil moyen sera plus efficient que la cruauté.
À cette dernière fin, c’est avec discernement qu’il lui faut choisir des
trésoriers à la fois serviables et d'une grande cupidité avisée, non seulement des hommes capables d’administrer l’immense fortune de
l’Église, mais de trouver de nouvelles richesses soit par davantage d’impôt
prélevé sur des terres conquises soit par la confiscation de l’or entreposé
dans des terres à conquérir. Ainsi
voyez-vous, Monseigneur, que rien ne distingue le gouvernement du Pape de celui
d’un autre prince. J’ajouterai cependant que si la gloire de celui-ci ne
souffre pas qu’il apparaisse comme un acteur sachant dominer les hommes au gré
de la Fortune, il n’en serait guère de même pour le Pape qui doit s’efforcer de paraître le lieutenant de Dieu lui-même […]»
Study after Velazquez’s Portrait of Pope Innocent x 1953
"Ce qu'il y a de véritablement étonnant, c'est de voir les Papes devenir souverains sans s'en apercevoir, et même, à parler exactement, malgré eux. Une loi invisible élevait le siège de Rome, et l'on peut dire que le Chef de l'Église universelle naquit souverain. […] Je ne sais quelle atmosphère de grandeur[…] l'environnait sans aucune cause humaine assignable. Le Pontife romain avait besoin de richesses, et les richesses affluaient; il avait besoin d'éclat, et une splendeur extraordinaire partait du trône de saint Pierre, au point que, déjà dans le troisième siècle, l'un des plus grands seigneurs de Rome, préfet de la ville, disait en se jouant, au rapport de saint Jérôme: ”Promettez-moi de me faire évêque de Rome et tout de suite je me ferai chrétien.” Celui qui parlerait ici d'avidité religieuse, d'avarice, d'influence sacerdotale, prouverait qu'il est au niveau de son siècle mais tout à fait au-dessous du sujet. Comment peut-on concevoir une souveraineté sans richesses? Ces deux idées sont une contradiction manifeste.Les richesses de l'Église romaine étant donc le signe de sa dignité et l'instrument nécessaire de son action légitime, elles furent l'œuvre de la Providence qui les marqua dès l'origine du sceau de la légitimité. On les voit et l'on ne sait d'où elles viennent. […] C'est le respect, c'est l'amour, c'est la piété, c'est la foi, qui les ont accumulées."